Printemps des Poètes 2014 «Au cœur des arts»  - textes en français page 4/4
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Printemps des Poètes 2014  - textes originaux en français -  COLLÈGE et LYCÉE - page 4

31. Jean Tardieu (suite)



L’ESPACE ET LA FLÛTE

(titre de l’ouvrage)

ci-dessous quelques-uns des poèmes :


Moi je conjure moi je convoque

en moi je fais surgir qui je veux

je suis ventre creux l'espace

batteur de batteries froides


Silence autour des objets

mèche du fouet cobra joli

le tracé du ver dans le sable

toute explosion de planète

en air de flûte finit


...


J'inscris dans l'homme la force et le repos

le berger les bêtes cornues

la lance l'arc et la flèche

la tache violente

et là-haut

la tête étroite et cruelle

de l'insecte guerrier.


J'inscris la danse

repliée sur son espace

et dans le silence qui s'accroît

le tremblement

de la Musique


J'inscris

Je signifie

Je distribue

Je donne l'ordre

Mais j'obéis

au cadre de la vie

à la mesure de l'oeil.


Jean Tardieu dans «L'espace et la flûte», références plus bas




Dans le même ouvrage, autre dessin de Picasso avec le texte de Tardieu en miroir, comparant le travail du peintre à celui du poète :


Le peintre enroule déroule

plie tord aplatit

casse éparpille effiloche

fronce festonne entortille

tache taraude ravaude

installe accroche répartit

étire boucle débrouille

désigne lance – et s’en va.


Le poète déglutit

mâche goûte humecte mord

racle rumine ronchonne

ronge siffle serine

lape susurre murmure

savoure salive entonne

grogne grince décortique

attise souffle – et se tait.


Jean Tardieu dans «L'espace et la flûte», références plus bas




Dans le même ouvrage, autre dessin de Picasso avec ce texte de Tardieu en miroir :


Poème pour le dessin de Picasso :


C'était au temps heureux où je paissais

dans les prairies de l'avenir
Sur les champs dépassés
je me retournais parfois

avec tendresse et mélancolie.
Or, la menace était loin devant moi

mais c'est cela qui peu à peu
rendait ma démarche plus pesante.


Jean Tardieu ("L'espace et la flûte, variations sur douze dessins de Picasso", 1958, dessins originaux de Pablo Picasso)


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autre dessin et autre texte en miroir dans le même ouvrage :




Aimer d'amour ce que l'on tue

en tracer le portrait pour les siècles

ô pur profil par la mort ennobli

de la victime aux yeux de femme

animal-dieu crucifié

gravé dans la poussière

par le couteau du soleil !


Ah qui viendra nous délivrer

de la naissance et de la mort

par quoi tout crime est justifié ?

Laissez-moi aimer sans détruire

le tendre museau des bêtes

Je suis dans le troupeau je regarde j'admire

la profondeur du jour.


Jean Tardieu ("L'espace et la flûte, variations sur douze dessins de Picasso", 1958, dessins originaux de Pablo Picasso)


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ci-dessus un  dessin de Picasso pour ""L'espace et la flûte», et le poème de Jean Tardieu qui l’accompagne :


Les jambes ? - soulignent.

La bouche ? - mérite.

La danseuse ? - elle est.


Le serpent ? - dessins.

Le fouet ? - anime.

La flûte ? - fleurit.


L'espace ? - dispose.

Le monde ? - s'absente.

Le son ? - apparaît.


Jean Tardieu ("L'espace et la flûte»)


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une autre page, pour le 7e texte :



Sous les plumes d’autruche

des feuillages faciles

une dame d’espalier

toute de boucles cousue

(...)

Jean Tardieu ("L'espace et la flûte»)


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LE PARQUET SE SOULÈVE

(éditions Vadus/Brunidor/Apeïros, diffusion Robert Altmann, 1973 )

comprend le texte de Jean Tardieu et 6 lithographies de Max Ernst en bleu sur Chine réalisées par frottage à la mine de plomb des feuilles de papier sur un plancher, (d’où ce titre).
En regard de chacune des six lithographies obtenues par cette méthode figure un poème de Jean Tardieu :

Un repas de roi ; Cassandre sort des planches ; Veuve en manteau de lion. Ogre changé en ronces ;
Sire vautour Dame pélican (ci-dessous) ; Cigale de l'espace.




Poème accompagnant cette lithographie :
Sire vautour Dame pélican


La race des vautours

en cape de soir

se perd et si

Madame

(née Pélican)

sous une jupe longue

montre sa gorge à demi nue,

je vois onduler sur sa hanche

une écharpe de flammes.

Déjà le pied fourchu

de l'Ennemi des hommes

pointe périlleusement.


Jean Tardieu (éditions Vadus/Brunidor/Apeïros, diffusion Robert Altmann, 1973)

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Un des dessins de Jean Cortot dans le Cahier d'art n°12 "En Puisaye"
titré « À Jean Tardieu, poème et lithographies de Jean Cortot», 2003
et le poème à l’adresse de Jean Tardieu :




Nous sommes tes amis

(début du poème)


Grand et cher Jean Tardieu,

très cher Jean,

tu es encore toujours,

de nouveau aujourd'hui,

comme autrefois

Parmi nous, tes amis


Nous sommes contents,

nous sommes très contents,

d'être avec toi.


nous sommes très contents

d'être ensemble tous avec toi


Nous sommes, tu le sais,

tes amis rapprochés

et fidèles

Nous sommes tes amis,

nous sommes près de toi,

avec toi.

Nous sommes tes amis,

parmi tous ceux qui t'admirent,

qui t'aiment


...

Jean Cortot dans le Cahier d'art n°12 "En Puisaye"
titré « À Jean Tardieu, poème et lithographies de Jean Cortot», 2003


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«Les figures du mouvement», Jean Tardieu, (douze poèmes avec douze dessins de Hans Hartung, éditions de Grenelle, Paris, 1987)



poème accompagnant cette lithographie :


L'aigu

est lancé,

au-delà de tout espace

concevable,

par un geste

qui est l'ombre amassée

toujours plus noire

dans l'épaisseur.


Jean Tardieu «Les figures du mouvement»


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«lignes de fuite»- dessin de Hans Hartung pour l’ouvrage avec Jean Tardieu :
«Les figures du mouvement», Jean Tardieu, (douze poèmes avec douze dessins de Hans Hartung, éditions de Grenelle, Paris, 1987)


poème accompagnant cette lithographie :


Feindre de fuir

dans tous les sens

et se retrouver réuni

dans une ligne,

sortir du tumulte

et des visages de la vie

pour retomber

dans un repos

chargé de sens

c’est changer la musique

en un regard silencieux.


Jean Tardieu «Les figures du mouvement»


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autre lithographie de Hans Hartung avec le poème de Tardieu qui l’accompagne :


                


Parfois

je dormais

enroulé sur moi-même

lové

les plumes repliées

parce que l'origine

est ainsi

dans sa palpitation aveugle

avant de donner vie

à l'être qui refuse

et tremble encore

de peur.


Jean Tardieu «Les figures du mouvement»


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ouvrage «L’ombre, la branche»
textes de Jean Tardieu avec des lithographies couleur sur papier Japon de Jean Bazaine (Paris, Editions Maeght, 1977)


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de (et avec) POL BURY

Pol Bury : Jean Tardieu quatre fois, 1989
collage original composé de cinétisations de photos du poète



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TOUT ET RIEN  (éd Biel,1979), poème de Jean Tardieu illustré d’estampes (gravure sur bois) par Pol Bury

pliage  accordéon

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32. Roland Topor
(1938-1997), a poussé très loin l’humour noir, avec autant de talent, dans ses dessins d’abord, ses textes de contes et romans, ses poésies, la réalisation de films, etc ...(prix de l’Humour noir, 1961).

Certaines œuvres parmi les plus abordables (les comptines) sont regroupées à la page Cycle 2 et C 3 du Printemps des Poètes 2014, ici


Voir aussi la page COMPTINES/CHANSONS du Printemps des Poètes 2014, ici)

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AFFICHES pour le mensuel HARA-KIRI de la grande époque (source : http://leblogdeshige.com/tag/roland-topor/)




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POÉSIE GRAPHIQUE

(visible aussi à la page C2-C3)


Ci-dessous, cette poésie graphique dessine un paysage de montagne.
On songe au travail d’Apollinaire (les calligrammes) ou d’Henri Michaux (les «Alphabets»), mais Roland Topor n’invente pas un tracé ni un alphabet, il utilise l’écriture et la lecture conventionnelle (tout en capitales comme tapées à la machine, police de caractères sans empattements, identique en corps, style et graisse ; espaces, ligne de lecture horizontale de gauche à droite, renvoi à le ligne), et la répétition de noms d’objets sur le thème suffit à tracer le paysage comme par des coups de pinceau :


Paysage de montagne




Roland Topor (1968)

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TEXTES





VACHES NOIRES


Vaches noires, écrit en 1996, est le dernier livre de Roland Topor, paru en 2011, quinze ans après le décès de son auteur.

On y retrouve évidemment dans les 33 textes, l'humour noir créatif qui caractérise Topor, et qui serait désespérance sans la distance nécessaire (ou pas ?).

Ce sont des réflexions, un point de vue disons désenchanté quand même, sur la société, le monde, ses semblables, lui-même, mais pas de méchanceté gratuite ni de mépris malgré tout, puisque c‘est du xème degré.

Personnage récurrent : la mort, qui rend dérisoire toute entreprise à long terme.


Vaches noires (extraits)

Je n’ai jamais tenté de trouver un sens à la vie, moral ou esthétique, ni essayé de faire évoluer l’humanité dans le bon sens. Le non-sens parait plus proche de la réalité. En général, je dessine pour me raccrocher à mon porte-plume comme un orang-outang se suspend aux branches. Il faut bien vivre, trouver de quoi payer l’ordinaire et s’offrir le luxe du vertige. Dessiner ne rapporte pas grand-chose mais ne coûte rien.


(...)


Les vaches noires portent la poisse. Pire que les chats. Je ne comprends pas par quelle aberration les gens redoutent les chats noirs et se tamponnent des vaches noires. Un chat noir croise leur route, de droite à gauche, ils se mettent à toucher du bois. Un troupeau de vaches noires leur défile sous le nez, ils rigolent. Pas longtemps. La première tuile qui tombera sera pour eux et ils se demanderont pourquoi.


(...)


Le regard des vaches, tout le monde dit qu’il est bête. Il n’est pas seulement bête. Il est méchant. Un regard de tueur comme on en décrit dans les Série noire. Une vache noire sortirait un flingue et vous arroserait de pruneaux sans même cesser de mâcher son chewing-gum. Sans états d’âme et sans remords. Un contrat comme tant d’autres, pour le fric, voilà comment elles sont, les vaches noires. Saloperies !


(...)


Je ne tiens pas à m’encombrer l’esprit avec de l’argent. Je tiens à le garder disponible pour ce qui en vaut vraiment la peine: la poésie, la musique, l’art.

Des tableaux de maîtres, j’en ai plein mes murs. «Ce Van Gogh a dû vous coûter la peau des fesses!» Les yeux leur sortent de la tête. Oui, sans aucun doute, il s’agit d’un très beau Van Gogh, les chefs-d’œuvre sont plus onéreux que les croûtes. L’argent ne vaudra plus rien, mon Van Gogh sera toujours beau. Alors, un million de dollars de plus ou de moins, quelle importance? L’émotion que me donne mon Van Gogh ne peut pas se chiffrer. Ni mon palais de Venise, ni Karine.


(...)


Roland Topor ("Vaches noires», 33 textes -  Wombat, 2011)


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LA PRINCESSE ANGINE


Dans ce conte, plus pour adultes que pour enfants, Topor exerce toujours son humour ravageur, et joue avec les mots, le sens , l’écriture, jusqu’à leur accorder parfois une existence propre




Roland Topor ("La Princesse Angine», Libretto, 2012)


La Princesse Angine (extraits)


L'animal était couleur fraise écrasée. Sur son flanc figurait en lettres noires l'inscription suivante :

RIEN NE VAUT LE THON A L'HUILE

Le vieillard trottina jusqu'à la porte arrière qu'il ouvrit à l'aide d'une clé dorée. Il disparut à l'intérieur.

- Vous regardez notre lama ? demanda Angine.

- Non, je regardais l'éléphant.

- Vous voulez dire notre crocodile ?

- Non, l'éléphant du camion.

- Ah ! vous voulez parler de l'okap !

- Mais non, de l'éléphant, là, sur la route.

- Imbécile, éclata Angine, "éléphant" est un mot interdit ! C'est un gros mot. On ne dit pas un éléphant, on dit une souris.

- Mais ce n'est pas la même chose !

- Qu'en savez-vous ? Ils sont de la même couleur, grise ou blanche. Ce sont également des mammifères, et ils mangent de l'herbe.

- Ils n'ont pas la même forme, ni la même taille!

- Un petit éléphant est quand même un éléphant, n'est-ce pas, et une grande souris, une souris. Donc la taille ne compte pas. Quant à la forme... c'est à s'y méprendre. Avec un peu de bonne volonté c'est absolument pareil.

  1. -Vous allez fort !

  2. -

(...)


Jonathan demande à la princesse Angine :

“ Que voulez-vous que j'écrive ?

— Elastique.

Les doigts de Jonathan palpitèrent sur les touches.

Voilà. Elastique.

Vous n'êtes pas un bon écrivain. Passez-moi la machine. Elle tapa à son tour.

ELASSSSSSSSSSSSSSSSTIQUE

— Voilà. C'est ainsi qu'il faut l'écrire. Ou comme cela si on le détend :

ELTIQUE. ”


Roland Topor ("La Princesse Angine», Buchet-Chastel, 1967- et sur l’image, la réédition chez  Libretto, 2012)


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LE CINÉMA DE TOPOR






dessin de Topor pour le film


Roland Topor  a écrit le scénario de ce film, dont le titre annonce l’humour noir, mais il est mort avant sa distribution (2010).

Le réalisateur Jacques Richard raconte (source : http://www.allocine.fr/film/fichefilm-171756/secrets-tournage/) :
"Le film, qui ne ressemble à rien de ce qui se produit aujourd’hui en France a donc mis quatorze ans à voir le jour, aucun producteur, distributeur, ni chaînes ne voulant me suivre. Heureusement la région Bourgogne a choisi d’aider le film et on a pu le tourner quasi entièrement entre Beaune et Chalon-sur-Saône. On a eu la chance de trouver de très beaux décors favorisant le rêve et le fantasme"

Topor a scénarisé d’autres longs métrages, les plus connus étant «Le locataire» (en 1976), de Roman Polanski, (d’après son ouvrage «Le Locataire chimérique», Buchet/Chastel, 1996) et «La planète sauvage» (en 1973), tiré également d’un de ses romans, et dont il a aussi assuré la direction artistique.

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LITTÉRATURE ET THÉÂTRE

ALICE AU PAYS DES LETTRES




Illustration de Topor pour l’ouvrage «Alice au pays des lettres»
(Le Seuil, 1991)


Ci-dessous l’affiche et une présentation de ce spectacle (sur scène en 2006), d’après le conte de Topor, lui-même inspiré du roman de Lewis Caroll, «Alice au pays des merveilles».où on constate le plaisir de Roland Topor à jouer avec le langage et l’écriture.


                         


«Il pleut, Alice s'ennuie, elle espère une lettre. Surgit un personnage captivant qui l'entraîne dans un étrange pays peuplé de lettres aux caractères bien trempés. Toutes rêvent de participer à un casting pour rédiger une lettre sentimentale. Elles présentent leurs numéros dans un petit castelet jusqu'à ce que monsieur le M réalise une énorme faute. Mesdames Grammaire et Syntaxe vont le juger et le condamner si méchamment que les autres lettres se révoltent, chassent les deux tyrans et, pour fêter leur victoire organisent un grand bal. Sans ordre ni logique, tout se mélange, Alice ne comprend plus rien, cherche à s'enfuir. On entend une sonnerie, un facteur apporte une lettre, de qui ?»


Alice au pays des lettres (extrait)

Il y avait là toutes les lettres : des
B, des L, des U, enfin tous ces signes qui, convenablement placés, constituent l’alphabet. Elle aperçut un O avec sa fille, Mademoiselle O, rougissante et timide. Elle vit également un J et un E qui se tenaient par le bras. C’était sans doute un jeune couple en pleine lune de miel. Il y avait des milliers de caractères de toutes sortes qui se pressaient, se bousculaient, comme s’ils avaient quelque chose de très important à faire.

« Peut-être vont-ils prendre leur goûter ? » se demanda Alice. En s’approchant de la bibliothèque, elle avisa une espèce de guichet dans lequel une grosse femme tenait des listes à la main. De temps à autre elle annonçait d’une voix forte :

« Un rôle pour S ! Un rôle pour E ! Un rôle pour J ! » Alice comprit qu’il s’agissait d’une espèce de régisseur de théâtre qui distribuait des rôles pour une représentation. Elle battit des mains car elle avait joué une fois le rôle du Petit Chaperon Rouge dans une fête et tout le monde lui avait dit qu’elle était très bonne actrice.

Avec Karim Kadjar, Sarah Olivier

D'après Roland Topor

Mise en scène et adaptation par Elzbieta Jeznach
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34. Tristan Tzara et le mouvement Dada


(1896-1963) est l'un des fondateurs du mouvement Dada.
Le mouvement Dada dépasse le cadre de l'humour, et pour tout dire celui de la poésie. Il échappe aux critères, aux règles et aux contraintes.
Voici des passages du Manifeste Dada rédigé en 1918 par Tristan Tzara :

"[...] J'écris ce manifeste pour montrer qu'on peut faire les actions opposées ensemble, dans une seule fraîche respiration; je suis contre l'action; pour la continuelle contradiction, pour l'affirmation aussi, je ne suis ni pour ni contre et je n'explique pas car je hais le bon sens. [...]
Une œuvre d'art n'est jamais belle, par décret, objectivement, pour tous. La critique est donc inutile, elle n'existe que subjectivement, pour chacun, et sans le moindre caractère de généralité. [...]
[Littérature] : Chaque page doit exploser, soit par le sérieux profond et lourd, le tourbillon, le vertige, le nouveau, l'éternel, par la blague écrasante, par l'enthousiasme des principes ou par la façon d'être imprimée. Voilà un monde chancelant qui fuit, fiancé aux grelots de la gamme infernale, voilà de l'autre côté : des hommes nouveaux. Rudes, bondissants, chevaucheurs de hoquets."


La rose et le chien, un «poème perpétuel» de Tristan Tzara




Midis gagnés» (Denoël, 1939)
recueil de poèmes de Tristan Tzara illustré de six dessins d’Henri Matisse

Une deuxième édition de "Midis gagnés" , illustrée de huit dessins d'Henri Matisse, contient "Abrégé de la nuit ; La Main passe ; Les Mutations radieuses" (Denoël, 1948)



un des six dessins

Midis gagnés (extrait )


(...)


c’est de l’immense solitude du brin de paille

abandonné aux lèvres voraces des champs

que je déduirai le feu à couture de nacre

les ancres de nuit aux ailes agricoles aux tresses de sarment

les aloès rouillés les murs mis à vif des défilés d’hommes et de grêlons

fours branlants où le pain est de pierre et la paix des fougères s’émiette

ce sont les grillons d’anis et d’ombre

d’une certaine transparence à voix étroite

du toucher des objets blafards

d’une peau douce à la longue haleine

d’une envolée de bijoux sans lendemain ni plumes

d’un jour foncé d’un bois de pigeons

d’une fenêtre froide comme d’une chevelure sans feuilles

on guette la poutre de soleil


le silence n’a pas encore atteint la structure intime de l’ombre de cristal

les pans de rocher aux crinières d’eau pâle

le sommeil sectionne les êtres vivants par coupes verticales les unes sont noires les autres de mer

le roi des vagues n’a pas encore séché sa dernière larme


Tristan Tzara («Midis gagnés», Denoël, 1939 et 1948)


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De fil en aiguille


le serrurier fourbit l’ombre séculaire

le menuisier à petits coups tape sur la peur de la mort

le jardinier plante des draps sur des tertres de fumée

mais l’aveugle ramasse toujours la suie


le mécanicien tourne le miroir du tournesol

à l’envers du monde où sont les infirmières

elles vont au cinéma au bois aux champignons

mais les invalides sonnent les feuilles mortes


quand le cultivateur arrache l’écharde de lumière

aucun frisson ne parcourt la parole de l’endormeur

le berger secoue la grise lande

mais le marin n’échappe à la risée de la durée


oh brave animalier dans l’œuf de la douleur

l’enfanteur de brises est tombé sous sa main

matin mainmise sur le silence du routier

mais le vitrier fournit les cailloux


et les enfants sont morts les meuniers debout

les fous plus nombreux que les lucarnes de leurs ans

courant à l’école sur le fil des couturiers

les limiers montent dans les greniers du langage


attention le souffleur de verre vide la crécelle

ne t’approche pas trop de la ville qui fume

le pêcheur soulève le voile des pleurs

mais le facteur ranime de vieux fusils


dans chaque main mortelle se glisse un triste sire

chaque vent d’hiver nous porte aux portes des pâtissiers

le ramoneur est là il est dans de beaux draps

mais sur le képi du général paix et cendres


le charbonnier a dans la peau les bruits de l’armoire

pas un chien n’aboie quand passe l’ébéniste

c’est un vieux pharmacien habillé de plâtre

mais le gardien lui se bat avec la nuit


il y a des boulangers dans la forêt des familles

et des savetiers qui savent le latin du ciel

ce sont encore des princes dans l’herbe des géants

mais le maraudeur baratte la solitude


n’était sur le village un halo de plâtriers

le quai enflerait-il des gants d’embaumeurs

voici clopin-clopant la toux du médecin qui monte

mais le cocher tire l’escalier par la barbe


les puisatiers se donnent à cœur joie

quand les géomètres rompent l’or du temps trottant

et les mineurs retournent la mesure de la terre

mais les écoliers en portent le poids


est-il vrai bûcheron le sentier sort de ta tête

comme le pâtre rameur à belles dents

du rocher incendie gisant dans le fossé

mais le fermier ne l’entend pas de cette oreille


ainsi vont les charpentiers à la foire aux médisances

ainsi déroulent les acteurs les tréfonds des trépassés

et les chapeliers leurs vérités de rubans

mais le musicien en tire les conséquences de blé sourd


rien n’échappe aux doigts de l’architecte

dans les yeux du parc l’horloger s’installe à son banc

l’arroseur des rues fait la part de peine à la raison

mais l’oiseleur rit dans sa ruse blanche


le paveur a mis sa cruche sur la tête

où sont-ils les cavaliers qui foraient la montagne

l’aubergiste enfile des dents de sanglier

mais la servante boit son dernier soupir


amants amants de corps et âme

les chasseurs ont perdu la partie de campagne

et les carillonneurs aiguisant la tempête

messieurs les fossoyeurs enlevez vos chapeaux


Tristan Tzara («Midis gagnés»  ; «Entre-temps : De fil en aiguille», Denoël, 1939 et 1948)


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Un texte beaucoup plus accessible au collège, voire au cycle 3 :

Pour faire un poème dadaïste


Prenez un journal.

Prenez les ciseaux.

Choisissez dans le journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.

Découpez l'article.

Découpez ensuite avec soin chacun de mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.

Agitez doucement.

Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre.

Copiez consciencieusement dans l'ordre où elles ont quitté le sac.

Le poème vous ressemblera.

Et vous voilà un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.


Tristan Tzara (1920)

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34. Paul Verlaine
(1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. Voir ici une biographie et une bibliographie détaillées :

http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

Art poétique

À Charles Morice

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière des voiles
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est par un ciel d'automne attiédi
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.


Paul Verlaine (recueil «Jadis et naguère»)

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35. Boris Vian (voir aussi la page école primaire)
(1920-1959) est un "touche-à-tout de génie".

Diplômé de l'École centrale, il entre comme ingénieur à l'Afnor (Association française de normalisation !) où il sévira quand même quatre années, avant de devenir trompettiste, car il est passionné de musique et de "culture jazz" (il signe des critiques pour des revues spécialisées).

Il écrit parallèlement(1) des poésies et des textes de chansons, qu'il interprètera plus tard, des nouvelles et des romans.


«N'importe quel objet peut être un objet d'art pour peu qu'on l'entoure d'un cadre» (Boris Vian)


Voir également la page du site qui lui est consacrée, (en préparation) ....


un poème à proposer en écoute aux grands élèves, pour la musique des mots et l’auto-dérision au second degré que pratique Boris Vian


Si les poètes étaient moins bêtes


Si les poètes étaient moins bêtes

Et s'ils étaient moins paresseux

Ils rendraient tout le monde heureux

Pour pouvoir s'occuper en paix

De leurs souffrances littéraires

Ils construiraient des maisons jaunes

Avec des grands jardins devant

Et des arbres pleins de zoizeaux

De mirliflûtes et de lizeaux

Des mésongres et des feuvertes

Des plumuches, des picassiettes

Et des petits corbeaux tout rouges

Qui diraient la bonne aventure

Il y aurait de grands jets d'eau

Avec des lumières dedans

Il y aurait deux cents poissons

Depuis le croûsque au ramusson

De la libelle au pépamule

De l'orphie au rara curule

Et de l'avoile au canisson

Il y aurait de l'air tout neuf

Parfumé de l'odeur des feuilles

On mangerait quand on voudrait

Et l'on travaillerait sans hâte

A construire des escaliers

De formes encor jamais vues

Avec des bois veinés de mauve

Lisses comme elle sous les doigts


Mais les poètes sont très bêtes

Ils écrivent pour commencer

Au lieu de s'mettre à travailler

Et ça leur donne des remords

Qu'ils conservent jusqu'à la mort

Ravis d'avoir tellement souffert

On leur donne des grands discours

Et on les oublie en un jour

Mais s'ils étaient moins paresseux

On ne les oublierait qu'en deux.


Boris Vian ("Je voudrais pas crever", éditions Jean-Jacques Pauvert, 1962)




tableau de Boris Vian, "les hommes de fer»


35. Théophile de Viau
(1590-1626) est un des plus grands poètes de son siècle, étiqueté "poète baroque"..

Un poème descriptif, peint le ableau d’une étonnante scène de nature :


Un Corbeau devant moi croasse …


Un Corbeau devant moi croasse,

Une ombre offusque mes regards,

Deux belettes et deux renards

Traversent l'endroit où je passe :

Les pieds faillent à mon cheval,

Mon laquais tombe du haut mal,

J'entends craqueter le tonnerre,

Un esprit se présente à moi,

J'ois Charon qui m'appelle à soi,

Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source,

Un bœuf gravit sur un clocher,

Le sang coule de ce rocher,

Un aspic s'accouple d'une ourse,

Sur le haut d'une vieille tour

Un serpent déchire un vautour,

Le feu brûle dedans la glace,

Le Soleil est devenu noir,

Je vois la Lune qui va choir,

Cet arbre est sorti de sa place.


Théophile de Viau ("Œuvres poétiques", 1621)

Charon est dans la mythologie grecque le fils des ténèbres et de la nuit qui fait traverser le fleuve de l’Enfer, le Styx, aux âmes des morts pour les conduire au Royaume des morts

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36. Alexandre Voisard
poète et écrivain, est né en 1930 à Porrentruy, dans le Jura suisse. Il vit aujourd'hui dans le Jura français, juste de l'autre côté de la frontière. Il a obtenu le Prix de poésie Max Jacob en 1996 pour son recueil Le repentir du peintre (éditions Empreintes). L'un des derniers ouvrages en date est Fables des orées et des rues, (éditions Bernard Campiche, 2003).


L'artiste à l'œuvre 


De bas en haut
celui qu'on nommait l'Artiste
a léché l'étendard de la survie
de long en large
il en a baisé tous les ourlets
dans le désarroi des oiseaux migrants
il s'en remet pour l'avenir
aux liturgies de la flore
aux jurisprudences de la faune
grâce auxquelles le papier ne tremblera
plus sous le crayon insurgé.


Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

 

SOMMAIRE PAR AUTEURS  SUR LES 4 PAGES


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page 1 (CLIC pour y accéder)


  1. 1.Guillaume Apollinaire - Les fiançailles ; La Colombe poignardée ; le jet d’eau ;  La cravate ; Il pleut ; Marie ; Le présent ; Si je mourais là-bas

  2. 2.Louis Aragon - MATISSE  PARLE ; LA BELLE ITALIENNE ; Chagall IX (Le ciel est un pays de chèvres ...) ; Les oiseaux déguisés ; Chagall à l'opéra ; Chagall (Tous les animaux et les candélabres) ; CHAGALL N° TANT ET PLUS ; Léger ; La merveille de la musique

  3. 3.Jean Hans Arp - Interview de Jean Arp par Camille Bryen ; Flamber et fleurir ; Plastron et fourchette (sculpture) ; Femme paysage (sculpture) ; Une goutte d’homme ; Berger de nuages (sculpture) ; Nombril et nombril ailé (collage) ; Aux anses de coton ; Cuis-moi un tonnerre

  4. 4.Charles Baudelaire - Harmonie du soir ; Les phares ; Une gravure fantastique ; Une martyre ; La Musique

  5. 5.Maurice Bourg - Embrasement

  6. 6.André Breton - Île ; À l’intersection de lignes de force invisibles ... (poème-objet) ; Ces terrains vagues … (poème-objet)

  7. 7.René Char - Lettera amorosa ; Allégeance ; l y a deux iris jaunes ... ; LE MONDE DE L’ART N’EST PAS LE MONDE DU PARDON (FRONT DE LA ROSE) ; Dansez, montagnes (Derrière Le Miroir) ; Éloge rupestre de Miró

  8. 8.Malcolm de Chazal - aphorismes en forme de poèmes courts ; pensées et aphorismes courts ; pensées et aphorismes en rapport avec la couleur et la lumière

  9. 9.Jean Cocteau - Le Coq et l’Arlequin (courts extraits) ; La jeune femme ; Les trois yeux (céramique) ; Le chat (décor de la Chapelle Saint-Blaise des Simples) ;  Plain-chant ; Hommage à Igor Stravinsky

  10. 10.Lucienne Desnoues - La mort du peintre

  11. 11.Heather Duollau - La Liseuse ; extraits divers (dont "Le tableau")

  12. 12.Jean Dubuffet - LER DLA CANPANE ; OREILLES GARDÉES ; Ontogénèse (tableau) ; collaborations avec Jacques Berne


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page 2 (CLIC pour y accéder)


  1. 13.PAUL ÉLUARD
    textes dédiés à des artistes et textes illustrés par
    Pablo Picasso, Salvador Dalí, Fernand Léger, Valentine Hugo, Max Ernst, Man Ray, Joan Miró, René Magritte, Yves Tanguy, Albrecht Dürer, André Masson ...

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page 3 (CLIC pour y accéder)


  1. 14.Max Ernst - Écritures ; Festin

  2. 15.Jean Follain - La pomme rouge

  3. 16.Guillevic - J’ai joué sur la pierre … ; Les mots … ; Le chant ; Art poétique ; Regarder ; Paysage habité ; Les murs ; Tourbillon , Se dénuager ; D’une lune ; L’infini ; Cette lumière ; Grisé ; Cymbalum ; Échappées ; Aguets

  4. 17.Victor Hugo - dessins ; Que la musique date du seizième siècle

  5. 18.Pierre Jean Jouve - Mozart

  6. 19.Stéphane Mallarmé - Peindre un paysage

  7. 20.Henri Michaux - Peindre ; alphabets ; Émergences-Résurgence ; Mouvements ; Par la voie des rythmes ; Misérable miracle ; Portrait des Meidosems ; CLOWN

  8. 21.Gérard de Nerval - Fantaisie ; Avril ; Le coucher du soleil

  9. 22.Joseph Noiret - Le jardin bien bêché … ; HISTOIRES NATURELLES DE LA CREVÊCHE ; L'Aube se lève droit devant elle ; Dans la pâte je m’entortouille ; la java des mots

  10. 23.Germain Nouveau - Un peu de musique

  11. 24.Francis Picabia - FLEUR COUPÉE ; Manifeste DADA ; Pensées sans langage

  12. 25.Pablo Picasso - SONGE ET MENSONGE DE FRANCO ; Divers poèmes du Livre ouvert ; 16 mai XXXVI ; 22 MARS XXXVI ; 4 AVRIL XXXV, portrait de jeune fille ; DÉTOURNEMENT/ASSEMBLAGE D’OBJETS

  13. 26.Ernest Pignon-Ernest - Robert Desnos en lévitation ; hommage au poète palestinien Mahmoud Darwish

  14. 27.Francis Ponge - Nutrition (avec Jean Dubuffet) ; La cruche

  15. 28.Jacques Prévert - Les collages de «Fatras» ; Promenade de Picasso ; Bain de soleil ; Pour faire le portrait d’un oiseau ; L’école des Beaux-Arts ; Presque ; Beauté ; Voyages


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page 4 (vous y êtes)


  1. 29.Pierre Reverdy - Le côté bleu du ciel ; La vie fragile ; Les jockeys camouflés

  2. 30.Maurice Rollinat - Coucher de soleil

  3. 31.Hector de Saint-Denis-Garneau - Flûte ; Entre le ciel et l’eau - Paysage en deux couleurs ; Baigneuse

  4. 32.André Salmon - El Malagueño ; Profond tableau ; Peindre c’est la merveille !

  5. 33.Albert Samain - Musique sur l’eau ; Musique

  6. 34.Philippe Soupault - La Roue des Roues

  7. 35.Jules Supervielle - À propos de Pedro Figari ; Un peintre ; Je caresse la mappemonde

  8. 36.Jean Tardieu - Outils posés sur une table ; HENRI  ROUSSEAU LE DOUANIER ; À L’OCTROI DU POINT-DU-JOUR ; LE MIROIR ÉBLOUI ; C’EST À DIRE ; POÈMES À VOIR ; L’ESPACE ET LA FLÛTE ; LE PARQUET SE SOULÈVE ; Nous sommes tes amis ; Les figures du mouvement ; Jean Tardieu quatre fois ; TOUT ET RIEN

  9. 37.Roland Topor - AFFICHES ; POÉSIE GRAPHIQUE : Paysage de montagne ; Vaches noires ; La Princesse Angine ; LE CINÉMA DE TOPOR ; LITTÉRATURE ET THÉÂTRE : Alice au pays des lettres

  10. 38.Tristan Tzara - Midis gagnés

  11. 39.Paul Verlaine - Art poétique

  12. 40.Boris Vian - Si les poètes étaient moins bêtes ; Les hommes de fer

  13. 41.Théophile de Viau - Un Corbeau devant moi croasse …

  14. 42.Alexandre Voisard - L'artiste à l'œuvre  

24. Pierre Reverdy
(1889-1910) n'est pas à ranger dans les poètes surréalistes. Était-il, pour avoir fréquenté Picasso, un "poète cubiste", comme on l'a dit ?
Il a en tous cas inspiré des peintres, Juan Gris, Henri Matisse et donc Pablo Picasso, et des écrivains et poètes tels que Louis Aragon, André Breton et Paul Éluard.

Natif de Narbonne, en Roussillon, c'est la Montagne Noire qui peuple ses textes de neige.


Philippe Jaccottet, poète d'aujourd'hui, a écrit de Pierre Reverdy :


"L’univers de Reverdy a pour modèles la limpidité hivernale, les merveilles du givre, l’éblouissement des cascades, ou, par moindre bonheur, les voiles de la pluie, la fuite des nuées, les lueurs des vitres."

Philippe Jaccottet dans "Une claire goutte de temps", 1968.

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"La guitare endormie", 1919

recueil de contes et de poèmes de Pierre Reverdy  illustré par Juan Gris


Le côté bleu du ciel

Les bancs sont prisonniers

Des chaînes d’or du mur

Prisonniers des jardins où le soleil se cache

Près de la forêt vierge

De la prairie étale

Du pont qui tourne à pic

Dans l’angle le plus droit

La boîte des nuages s’ouvre

Et tous les oiseaux blancs s’envolent à la fois

Tapis plus vert que l’eau plus doux que l’herbe

Plus amer à la bouche et plus plaisant à l’œil

Les arbres à genoux se baignent

L’air est calme et plein de sommeil

La lumière s’abat

Le jour perd ses pétales

Plus haut c’est tout d’un coup la nuit

Les regards entendus

Et le clignement des étoiles

Les signes

Par-dessus les toits


Pierre Reverdy ("La guitare endormie", 1919)


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La vie fragile



Plus loin entre la plante grasse et le rideau


             Dresser l'échelle


Les formes qui remuent dans le fond du jardin sont blanches


    d'autres noires


Selon le mouvement brutal du réflecteur


              Les maillots des arbres sont roses


Mais au premier plan une main tient la clef du cœur


Un couple ailé marche dans des couleurs qui changent


                     Celui qui vole bas c'est l'homme


                          Celui qui va à pied c'est l'ange


Les yeux luttent dans la lumière


                      La lampe fraîche du matin


Un fil cassé descend derrière


                      La tête nue s'incline et barre le chemin


                      Tout le reste est recouvert de feuilles mortes


Quant au ciel il s'ouvre par le fond et de côté mais en triangle


Pierre Reverdy ("La guitare endormie", 1919)


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PIERRE REVERDY et  HENRI MATISSE (1869-1954)


« Il faut regarder toute la vie avec des yeux d'enfants »
Henri Matisse, en 1953




deux des dessins pour l’ouvrage «Les Jockeys camouflés»
édité par François Bernouard, (A la belle édition, 1918).

Contient trois textes de Pierre Reverdy :
Les jockeys camouflés ; Les jockeys mécaniques ;
Autres jockeys, alcooliques. - illustrés de cinq dessins d’Henri Matisse.


« (...) l'emploi des majuscules est  (...) frappant. Cette particularité typographique donne aux poèmes une dimension supplémentaire, mettant l'accent sur certains mots qui peuvent, lus ensemble, également former un poème en soi. Les dessins de Matisse contribuent aussi à la multiplicité de significations. Ce ne sont pas de simples illustrations. Tout comme la typographie, elles donnent au cours de la lecture une impression de chevaux au galop. Les vers de Reverdy eux aussi galopent à travers les pages. Un vers long est ainsi souvent suivi d'un vers très court. (...) « source : http://www.kb.nl/fr/collection-koopman/index/1890-1918/les-jockeys-camoufles

extrait de
Les jockeys mécaniques


La nuit polaire


A bord les hublots sont ouverts

Les trappes bâillent

Assis sur le balcon qui se détache

Le voilà sur fond bleu

Les nuages seront peut-être les gagnants de la course


On ne voit plus que lui et eux

Ils disparaissent un moment derrière la colline où quelqu'un se promène


Ils meurent

Les chevaux ne sont plus que des bruits de grelots


En même temps que les feuilles tremblent

En même temps que les étoiles regardent

En même temps que le train passe en crachant des injures


Et la fumée

Un bout de cigare refroidi reste


Et ce tronc d'arbre au bord de la forêt

L'âcre odeur de l'herbe roussie tout autour


(...)


Il y a des lueurs sur le fond noir du ciel


Il y a des lumières qui courent entre les étoiles

Il y a des yeux qui s'ouvrent à la lueur des étoiles

Et son cœur battait plus fort à cause d'une main qui se posait près d'elle


A ce moment tous les yeux se tournèrent vers l'ouest d'où venait le vent

Il y avait aussi des hirondelles blanches qui venaient


de la mer

Il y avait encore des paroles qu'on n'entendait pas

Elles venaient de plus loin que la mer


Et les cavaliers lumineux dont les chevaux battaient le ciel de leurs sabots lunaires descendirent en bloc vers le poteau qui indiquait le but


(...)

Pierre Reverdy (poèmes repris dans «Plupart du temps. tome 2 : 1915-1922», Poésie/Gallimard, 1969).


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même ouvrage, extrait de
Autres jockeys, alcooliques


(...)

Chaque pas que nous faisons est plus qu'un voyage Nous n'avons pas besoin de nous presser

Ceux qui sont une source de mépris Ceux qui portent en eux la goutte d'éternité nécessaire à la vie

Ceux qui n'ont jamais connu leur mesure

En passant sur la route qui n'est recouverte que par le ciel baissent la tête

Des étoiles sont restées prises dans leurs cheveux

Une brûlure dans la tête

Et tout ce qui passe tourne en cavalcade où le métal résonne et s'enflamme

Rien qu'eux

La situation d'un homme devant un mur infini Sans aucune affiche La ligne des pieds et des yeux confondue

(...)


Pierre Reverdy (poèmes repris dans «Plupart du temps. tome 2 : 1915-1922», Poésie/Gallimard, 1969).

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25. Maurice Rollinat
(1846-1903) est un poète français.


Coucher de soleil

sonnet


Le soleil sur les monts s'écroule,

S'empourpre, et, graduellement,

Rétrécit son rayonnement,

Toujours plus se ramasse en boule.


Sa grande âme presque exhalée,

De ses derniers soupirs de feu

Rougit la côte et le milieu

De la solitaire vallée.


Et quand il s'éteint, descendu

Sur un roc lierreux et fendu,

Taché de noir comme les marbres,


Il figure, brûlant les yeux,

Un saint sacrement monstrueux

Qui saigne parmi des troncs d'arbres.


Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898)


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26. Hector de Saint-Denis-Garneau

d’autres poèmes de l’auteur sont rangés en catégorie école Primaire du Printemps des Poètes 2014, ICI

Hector de Saint-Denys-Garneau (1912-1943) est un poète, écrivain et peintre québécois.
Il a écrit la plupart de ses poèmes entre 1935 et 1937 (
«Regards et jeux dans l’espace» est publié en 1937 à compte d’auteur). Il est un des pionniers du vers libre.


(Regards Et Jeux Dans l'Espace", Montréal, édition de l'auteur, 1937 sans illustrations, a été réédité à l’identique par plusieurs éditeurs.
Les éditions Fides, qui avaient publié l’ouvrage dans leur collection Nénuphar en 1949 puis en 1972, ont repris les 25 poèmes avec 35 lithographies de l’auteur photographiées par Michel Pilon, dans un dernier ouvrage publié en1993 (sous la direction d’Henri Rivard)


La poète Anne Hébert a préfacé l’ouvrage de Fides :

(extrait) :
« Saint-Denys Garneau rêvait d'habiter le paysage de fond en comble, de tout son corps, de toute son âme, de la crête des arbres au plus profond de la rivière, de surprendre les secrets des arbres et de la rivière, de s'y fondre comme dans son propre secret révélé. Il scrutait la moindre avance, le moindre recul de la lumière sur le paysage, ainsi qu'en lui-même il suivait le passage, allant venant, de la grâce de vivre se donnant et se reprenant. Sainte-Catherine, Baie-Saint-Paul, Oka. Tout pays visité et reconnu. « C'est un peintre qui part en rêve qui part en chasse. » (...)
Sa double réponse à la vie foisonnante en lui et autour de lui était de peintre et de poète. Il écrivait des poèmes, il peignait des toiles. La terre était devant lui, exigeante et pleine. (...)
Garneau est moins « moderne » en peinture qu’il l’est en écriture. On découvre l’influence des impressionnistes, à commencer par Cézanne et Van Gogh (...)

source, le site officiel consacré au poète :
http://www.saintdenysgarneau.com




«pommiers en hiver», une des lithographies d’ Hector de Saint-Denys-Garneau qui illustre ses poèmes dans l’édition FIDES de l’ouvrage «Regards et jeux dans l’espace».


Flûte


Tous les champs ont soupiré par une flûte

Tous les champs à perte de vue ondulés sur les buttes

Tendus verts sur la respiration calme des buttes


Toute la respiration des champs a trouvé ce petit

ruisseau vert de son pour sortir

A découvert

Cette voix verte presque marine

Et soupiré un son tout frais

                      Par une flûte.


Hector de Saint-Denys-Garneau ("Regards Et Jeux Dans l'Espace", références plus haut)


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Entre le ciel et l'eau


Entre le ciel et l'eau, je suis entre le ciel

Qui est hier fixé dans l'azur du passé

Un ciel qui n'est pas immobile mais qui reste

Le même presque - Et l'eau de l'avenir qui fut

troublante et donne

le vertige, où se reflète le ciel d'hier

pareil, mais pas du tout de la même façon

Instable, comme glissant, d'un pas mal sûr

Inquiet comme se tenant sur une boule,

Et puis aussi selon les ondulations

Changeantes toutefois, plus profond ou plus clair,

Allongé par des bouts et raccourci par d'autres

Très incertain, assurément, très incertain

Et je me tiens ainsi, entre le ciel et l'eau

Appuyé tout contre le ciel sans empêcher

la clarté que je fais irrévocablement

Vers l'eau, vers l'eau mal sûre et pleine

d'inconnu, fascinante parfois ou qui fait peur

Selon que tel reflet s'allonge ou se restreint

prend toute la place ou la laisse à un autre

toujours selon les ondulations.


Hector de Saint-Denys-Garneau ("Regards Et Jeux Dans l'Espace", références plus haut)


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Paysage en deux couleurs


La vie la mort sur deux collines
Deux collines quatre versants
Les fleurs sauvages sur deux versants
L'ombre sauvage sur deux versants.

Le soleil debout dans le sud
Met son bonheur sur les deux cimes
L'épand sur faces des deux pentes
Et jusqu'à l'eau de la vallée
(Regarde tout et ne voit rien)

Dans la vallée le ciel de l'eau
Au ciel de l'eau les nénuphars
Les longues tiges vont au profond
Et le soleil les suit du doigt
(Les suit du doigt et ne sent rien)

Sur l'eau bercée de nénuphars
Sur l'eau piquée de nénuphars
Sur l'eau percée de nénuphars
Et tenue de cent mille tiges
Porte le pied des deux collines
Un pied fleuri de fleurs sauvages
Un pied rongé d'ombre sauvage.

Et pour qui vogue en plein milieu
Pour le poisson qui saute au milieu
(Voit une mouche tout au plus)

Tendant les pentes vers le fond
Plonge le front des deux collines
Un de fleurs fraîches dans la lumière
Vingt ans de fleurs sur fond de ciel
Un sans couleur ni de visage
Et sans comprendre et sans soleil
Mais tout mangé d'ombre sauvage
Tout composé d'absence noire
Un trou d'oubli — ciel calme autour.


Hector de Saint-Denys-Garneau ("Regards Et Jeux Dans l'Espace", références plus haut)


Baigneuse


Ah le matin dans mes yeux sur la mer
Une claire baigneuse a ramassé sur elle
           toute la lumière du paysage.


Hector de Saint-Denys-Garneau ("Regards Et Jeux Dans l'Espace", références plus haut)

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27. André Salmon
(1881-1969) poète, ami de Jean Moréas, de Picasso, appartient au groupe des poètes de l’Esprit Nouveau, dans lequel figurent aussi Cendrars, Reverdy et Max Jacob, qui sont aussi ses amis.


VOIR LE PARAGRAPHE PICASSO

Salmon a fait connaître le tableau de Picasso «Les Demoiselles d'Avignon» (à l’exposition du Salon d’Antin) et lui a donné ce titre.
Dans «L’Esprit nouveau», il écrit à propos de cette peinture :
« ce cratère toujours incandescent d’où est sorti le feu de l’art présent […] commande le départ de la révolution cubiste. »


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Peintures rupestres du Sahara («groupe Tekenberet») - ces peintures datent du dernier millénaire avant notre ère


Quelle fut la première peinture ?

Rien qu’une ligne qui marquait

l’ombre d’un homme sur un mur.


André Salmon

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«Les Demoiselles d’Avignon», Pablo Picasso, 1907 (243,9 × 233,7 cm)  -Musée d'art moderne (MoMA) de New-York.

El Malagueño *


Celui qui fracassa

Un art trop compassé,

L'oeil en grain de cassis,

C'est Monsieur Picasso,

Tout l'univers l'a su.


André Salmon («Vocalises» - Seghers, 1959)

  1. *Picasso est né à Malaga, en Andalousie - prononcer «malaguaigno»


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Les pommes, 1889-1890 - Paul Cézanne

Profond tableau


Trois pommes de Cézanne

La guitare de Pablo

Font dans le jour qui se fane

Un profond tableau,

Je suis hanté par les images !

Captif d’un monde recréé


André Salmon


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«Peindre», André Salmon (éditions de la Sirène, 1921)
Cet ouvrage est dédié à André Derain et porte en frontispice un p
ortrait d’André Salmon par Pablo Picasso (original peint au fusain en1907)


Peindre c’est la merveille !


Peindre c’est la merveille !

Peindre !

Il n'est d'univers

Vivant que l'univers dont ton pinceau sait la mesure.

Peindre !


(...)


Peindre la rose avec le sang de l’animal

Et le soleil

Avec le limon terrestre et le suc du végétal

Et la chair palpitante

Avec la pierre du gouffre

L’écaille du poisson le mercure le soufre

Qu’une œuvre savante

Transforme en un pigment que l’art transforme encore.


(...)


Le peintre est mort

La couleur a perdu son maître

Et la lumière son époux ;

Tant de formes qui pouvaient naître !

Tant de puits de clarté s’abîmant aux égouts !


(...)


Cent ans que le peintre

A mis dans son tableau

Un jour qui nous tend la main

Le peintre doit être mort

Mais nous voici cent ans de moins !


Le peintre est mort

André Salmon («Peindre» éditions de la Sirène, 1921)

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28. Albert Samain
(1858-1900) est un des plus importants poètes symbolistes français du XIXe siècle .


Musique sur l'eau


Oh ! Écoute la symphonie ;

Rien n'est doux comme une agonie

Dans la musique indéfinie

Qu'exhale un lointain vaporeux ;


D'une langueur la nuit s'enivre,

Et notre cœur qu'elle délivre

Du monotone effort de vivre

Se meurt d'un trépas langoureux.


Glissons entre le ciel et l'onde,

Glissons sous la lune profonde ;

Toute mon âme, loin du monde,

S'est réfugiée en tes yeux,


Et je regarde tes prunelles

Se pâmer sous les chanterelles,

Comme deux fleurs surnaturelles

Sous un rayon mélodieux.


Oh ! écoute la symphonie ;

Rien n'est doux comme l'agonie

De la lèvre à la lèvre unie

Dans la musique indéfinie ...


Albert Samain («Au jardin de l'infante «, 1893)


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Musique
sonnet



Puisqu'il n'est point de mots qui puissent contenir,

Ce soir, mon âme triste en vouloir de se taire,

Qu'un archet pur s'élève et chante, solitaire,

Pour mon rêve jaloux de ne se définir.


Ô coupe de cristal pleine de souvenir ;

Musique, c'est ton eau seule qui désaltère ;

Et l'âme va d'instinct se fondre en ton mystère,

Comme la lèvre vient à la lèvre s'unir.


Sanglot d'or !... Oh ! voici le divin sortilège !

Un vent d'aile a couru sur la chair qui s'allège ;

Des mains d'anges sur nous promènent leur douceur.


Harmonie, et c'est toi, la Vierge secourable,

Qui, comme un pauvre enfant, berces contre ton cœur

Notre cœur infini, notre cœur misérable.



Albert Samain («Au jardin de l'infante «, 1893)

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29. Philippe Soupault
(1897-1990) est  un des poètes du mouvement Dada, et l'un des fondateurs, avec André Breton, du surréalisme. Il est aussi romancier («Corps perdu».



portrait de Philippe Soupault par Delaunay, son ami, et tableau de Delaunay, «la Grande roue»

"On ne pardonne pas à son ami ses erreurs, on ne les excuse pas non plus. On les comprend" ...

"On doit mieux aimer ses amis pour leurs défauts que pour leurs qualités".


Philippe Soupault ("L'Amitié", recueil pour la collection "Notes et maximes - Hachette,1965)


La Roue des Roues


Il y a aujourd’hui
et il y a demain
il y a même après-demain
la grande roue
beau monocle qu’un soir Robert
Delaunay donna à la Ville
de Paris
attend
les quatre saisons
les quatre vents
les quatre jeudis
les voyous passant en dansant
près de cette grande baleine
qui s’agite comme un grand paon
près d’elle il n’y a pas que des animaux
il y a des femmes qui dorment
il y a aussi


Philippe Soupault, 1922 («Poésies complètes 1917-1937», GLM 1937)



page 101 du roman «Corps perdu», le roman d’un voyageur immobile (Au Sans Pareil, 1926)

et l’une des deux pointes-sèches de Jean Lurçat dans cet ouvrage


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30. Jules Supervielle
est un poète franco-uruguayen de langue française, né en 1884 à Montevideo, et mort à Paris en 1960.

Il a partagé son existence entre deux pays, deux continents, d'où vient peut-être cette approche du monde.


..."L'étoile dit : je tremble au bout d'un fil, si nul ne pense à moi, je cesse d'exister."



«Retrato» (portrait)

Le peintre Pedro Figari, ami de Jules Supervielle à Montevideo, a représenté ici le poète (source de l’image et du texte qui suit : http://www.pedrofigari.com/figari%20et%20supervielle.html )


à propos de Pedro Figari
«Transcription d’une page écrite pour l’album édité par la Commission Nationale des Beaux Arts à Montevideo en 1945»

(extraits - le texte intégral est à l’adresse indiquée ci-dessus) :


Il avait commencé par être un peintre des Dimanches et voilà qu’il colore, illumine et enchante toutes nos semaines.
(...) Sa peinture est mouvement. Il aime tout ce qui bouge: les danses, les couples, les chevaux, les diligences, les nuages et donne des ailes même aux maisons et aux arbres. Tout s’anime prodigieusement sous nos yeux et pourtant tout reste à sa place exacte.

(...) André Gide a dit qu’un nouveau poète remet tout en question. On pourrait en dire autant de ce grand coloriste qui a réhabilité le sujet dans la peinture sud-américaine et donné aux larges évocations du passé une grâce, une saveur et des accents jusqu’à lui inconnus dans ces terres.»


Jules Supervielle


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Un peintre


Il vous dira le jour

Toujours entre deux nuits

Avec des fleurs coupées

Par de claires épées,


Une seule bougie

Eclairant des cerises

Et un papier plié

Par le poids d’un secret,


Sur un fond de feuillage

Bien fait pour épier

D’un regard végétal

Votre propre mystère.


Jules Supervielle (« Le forçat innocent,» 1930 suivi de «Les amis inconnus, 1934 », réédition 2004 en Poésie/Gallimard)


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Je caresse la mappemonde


Je caresse la mappemonde

Jusqu'à ce que sous mes longs doigts

Naissent des montagnes, des bois,

Et je me mouille en eau profonde

Des fleuves, et je fonce avec eux

Dans l'océan vertigineux

Débordant de partout mes yeux

Dans la fougue d'un autre monde.


Jules Supervielle (poème et citation empruntés à "Poèmes pour les jeunes du temps présent" - Jacques Charpentreau - Les Editions Ouvrières - 1974)

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31. Jean Tardieu
(1903-1995), est un écrivain français né dans le Jura, poète, auteur de théâtre et romancier.
Il a sans doute hérité de ses parents, de son père artiste peintre et de sa mère musicienne, cet attrait de la couleur du verbe, de la poésie, mise en scène, et de la mélodie imagée de la langue (parmi d’utres ouvrages, les «Didascalies»).

«Saurais-je peindre avec des mots ?» s’interroge Tardieu.

«Je n'ai gardé de cette nostalgie de l'univers musical qu'un goût abstrait pour les formes conçues à priori (…)

Je prenais quelques mots parmi les plus usés [pour construire] une série de courts poèmes à la manière des musiciens» (...)

On trouvera ici, sur le blog lieucommun, en attendant la mise en ligne sur ce site, une présentation biographique et des textes, à l'occasion du Printemps des Poètes 2009, qui lui a rendu hommage :

http://lieucommun.canalblog.com/archives/_print_poetes_2009___jean_tardieu/index.html


VOIR AUSSI LA CATÉGORIE ÉLÉMENTAIRE, <ici

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Outils posés sur une table


Mes outils d'artisan

sont vieux comme le monde

vous les connaissez

je les prends devant vous :

verbes adverbes participes

pronoms substantifs adjectifs.

Ils ont su ils savent toujours

peser sur les choses

sur les volontés

éloigner ou rapprocher

réunir séparer

fondre ce qui est pour qu'en transparence

dans cette épaisseur

soient espérés ou redoutés

ce qui n'est pas, ce qui n'est pas encore,

ce qui est tout, ce qui n'est rien,

ce qui n'est plus.

Je les pose sur la table

ils parlent tout seuls je m'en vais.


Jean Tardieu (recueil "Poèmes pour la main droite",  repris dans «Formeries», Gallimard, 1976)

«Poèmes pour la main droite»  est titré ainsi en référence aux «Concertos pour la main gauche» de Maurice Ravel


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Henri Rousseau dit "Le Douanier" (1844-1910),  La Noce (1905)

le poème qui suit fait référence au peintre et à ce tableau


HENRI  ROUSSEAU LE DOUANIER

À L’OCTROI DU POINT-DU-JOUR


À Marcel Arland


- début du poème -


C'est le commencement, le monde est à repeindre,

l'herbe veut être verte, elle a besoin de nos regards ;

les maisons où l'on vit, les routes où l'on marche,

les jardins, les bateaux, les barrières

m'attendent pour entrer dans leur vrai paradis.

Je ne suis pas ici pour me moquer des choses ;

dans mes yeux qui les recueillent elles font de beaux rêves

et dans mes yeux puis dans mes mains elles deviennent sages,

égales et polies comme des images.

Je voudrais être du ciel l'absolu photographe

et pour l'éternité fixer la noce de Juillet,

la mariée comme une crème et la grand-mère qui se tasse

et le caniche noir et les invités à moustache

qui sont de la même famille.

J'empêcherais pour toujours de bouger

les voiles blanches qui vont sur l'Oise,

les branches aux feuilles nombreuses

des chênes, des peupliers et surtout des acacias

et les nuages montagneux et l'eau de la Seine

pour qu'elle devienne lisse comme un canal.

(...)


Jean Tardieu («Les portes de toile», Gallimard, 1939)


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LE MIROIR ÉBLOUI

«Le miroir ébloui» , sous-titré «poèmes traduits des arts»
rassemble plusieurs ouvrages publiés séparément auparavant : «Une vie ponctuée d’images» (1927–1938), «les portes de toile» (1939–1969), et «La création sans fin»(1970–1992).

Jean Tardieu y exprime en poésie ses émotions artistiques, son admiration, pour les auteurs et les œuvres de peintres du passé et pour des artistes contemporains dont certains furent ses amis.


avec ALECHINSKY




(passages) source : http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/05/peinture-et-poésie-des-alliés-substantiels-jean-tardieu-3.html)

D’une écriture à une autre (mais la signature est la même), avec un tremblement très sûr qui fait respirer le trait, de boucle en boucle, de serpentins en lassos, un cobra barbu, en tournant sur lui-même et en n’obéissant qu’à son propre hasard, engloutit le temps et le monde, choses et gens, la vague et le bateau, l’homme et son ombre, après avoir ensalivé de couleurs gourmandes cette proie sans fin qui ne demande qu’à être dévorée et qui renaît toujours de ses métamorphoses.

L’allusion colorée est si plaisante, si aiguë et si gaie, que l’on n’a plus besoin de rien : rien d’autre que l’infini et ses étoiles filantes. Tout n’est que prétexte à repeindre la création
(…)

Un mouvement sans fin ni cesse nous emporte la tête en bas en mélangeant sur la palette le vert acidulé des prairies vues en rêve, le sang violet des bêtes et des hommes, tous les bleus des lessives de l’horizon et de la mer, - et le noir, ce taureau, père et fils de l’écrit, si bien rôti au four de la mémoire, si tendrement sauvé de tout désastre, du moins tant que le vent ne souffle pas le feu vacillant tenu entre nos mains à demi refermées (…)

J’entends un air de flûte à bec qui, sans fin, revient sur ses pas, comme s’il voulait effacer tous les obstacles, tous les reliefs et tous les creux pour réduire l’univers à deux seules dimensions.

Rien ne finit et tout commence. On n’a même plus besoin de mourir.


Jean Tardieu, texte sur Alechinsky, dans la partie "La création sans fin" (ouvrage "Le miroir ébloui", éd Gallimard, 1993)


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C’EST À DIRE

avec FERNAND DUBUIS


          


une des huit aquarelles de Fernand Dubuis pour l’ouvrage en collaboration «C’est-à-dire»

(Paris, Georges Richar, 1973 )

texte de Jean Tardieu accompagné de huit aquarelles de Fernand Dubuis


Le texte de Jean Tardieu :

C’est-à-dire


Au tournant du verbe

accablé de masques

dont l'être intermittent

parfois surgit

lampe éphémère

pour que renaissent

les ténèbres

en vain refoulées

parfois plonge à l'oubli définitif

recours

depuis l'origine inconnue

jusqu'au-delà du futur

où tant de douleurs

enfin pétrifiées seront

c'est-à-dire

ne seront plus

voici pour le veilleur

ensommeillé

l'écho qui s'interroge

au-dehors sans répondre

le sifflement de l'ennemi

sous la porte

peut-être la clé

perdue

ou du moins ce mince fil

conducteur de vocables

mais pour qui mais pourquoi

s'il n'est rien

s'il s'enroule inutile

à l'index

ou s'il

retentit solitaire

ou s'il est incapable

de révéler autre chose

que sur le sol

à l'ombre de l'été

ce peu de traces

d'un passage

ou le bruit qui n'est pas entendu

ou les couleurs légères

de l'averse que le soleil

dispense à l'ennui

du littoral

lorsque tout espoir

et tout mal

évanouis

le sable

entonne le tumulte

les cris les rires

la blessure

et le silence même

dans une tête

aux dents serrées

inutile témoin

sur l'astre feu

lentement refroidi

d'être là

et ainsi et ainsi

et toujours

et si vous voulez

que je m'arrête

donnez-moi le mot

sinon — sans fin

je continue.


Jean Tardieu («C’est-à-dire», Paris, Georges Richar, 1973 )


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POÈMES À VOIR





Jean Tardieu, poèmes, et Pierre Alechinsky, 14 eaux-fortes ("Poèmes à voir", Paris, R.L.D, 1986)


Paysage nocturne
un autre poème «à voir»




Jean Tardieu, («Poèmes à voir» - 12 poèmes autographes gravés de Jean Tardieu avec 14 eaux-fortes de Pierre Alechinsky - Robert et Lydie Dutrou, 1986)


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CRÉATION POÉTIQUE et ARTISTIQUE
fiches techniques pour l’école (avec les textes du PP 2009)
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