LUC BÉRIMONT, un feu vivant

Luc Bérimont (1915 -1983), poète et romancier, de son vrai nom André Leclercq, a été un poète engagé.

D’abord dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale, et puis dans ses écrits poétiques, et dans la défense et la promotion de la poésie et de la chanson nouvelles, à l'image du poète-éditeur Pierre Seghers, qu'il a côtoyé.

Sa rencontre avec le poète Jean Bouhier le fait «entrer» dans le cercle des poètes de l'École de Rochefort, dont la page est ici >> sur le site à l'occasion du Printemps des Poètes 2015 <<.

Luc Bérimont a animé des émissions de radio pour faire connaître chanteurs et poètes.
Je me souviens d’avoir écouté, adolescent, à l’heure tardive d’avant minuit (madame à Minuit, croyez-vous qu’on veille ?), «La fine fleur de la chanson française», sur le France-Inter du temps de l’ORTF, au siècle dernier, à la fin des années soixante.

J’y ai contracté sans doute cette attirance pour le texte chanté par des artistes en marge des médias et donc peu reconnus : Debronckart, Bertin, Vasca, Juvin (pas Juvet) ...et d’autres, comme Marc Ogeret ou Jacques Marchais qui chantent si bien Bérimont. Et puis bien entendu, la complicité avec Georges Brassens, dans les entretiens amicaux, précieux.


«Un feu vivant» a été, à cette époque, en dehors des classiques scolaires, mon premier recueil de poésie avec Aragon (toujours par le biais de la chanson, Ferré cette fois).
«Un feu vivant», fusion de terre et de flamme.


Des textes de Luc Bérimont ont été chantés par Léo Ferré, Marc Ogeret ("Madame à minuit, croyez-vous qu'on rêve ?...") ou Jacques Bertin.

Sa poésie est intense et passionnée ("Un feu vivant", à découvrir peut-être d'abord pour entrer dans son univers). Il a écrit des recueils de poésies pour les enfants, en particulier les Comptines pour les enfants d'ici et les canards sauvages (Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1974).


Ses œuvres complètes sont annoncées en cours de publication (?) aux éditions du Cherche-midi (je n’ai pu obtenir que le seul tome 1), mais elles existent en trois volumes sous ce titre : «Coffret Luc Bérimont, Poésies complètes (Presses de l'Université d'Angers, 2009)», où on peut peut-être encore les commander dans leur coffret *.


On trouvera en attendant des textes puissants de Luc Bérimont, et un intéressant éclairage sur l'auteur ici :

http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/berimont/berimont.html


  1. *ça y est, je les ai reçus ! Il en reste trois exemplaires ici :

http://bu.univ-angers.fr/rechercher?destination=node%2F720%3Frecherche%3DLuc%2520berimont

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Chanson pour la nommer


Elle est comme un puits de feuillage

Douce comme le flanc du vent

Affolée comme un feu flambant
dérivante comme un nuage.


Elle est la sueur et la nage

Elle est le sable en plein midi

Une humide touffe de nuit

Prise entre la lune et minuit.


Elle est la belle et l'opportune,

L'indolente, le foin de Ma

Et parmi ses cheveux défaits

La pluie fine sur l'églantier.


Luc Bérimont (recueil "Les Accrus", Seghers - 1963)

<< chanté par Jacques Marchais

je t'attends aux grilles des routes


je t'attends aux grilles des routes

aux croisées du vent du sommeil

je crie ton nom au fond des soutes

des marécages sans oiseaux

du fond de ce désert de fonte

où je pose un à un mes pas

j'attends la source de tes bras

de tes cheveux de ton haleine


j'attends la source de tes bras

de tes cheveux de ton haleine

tu es terrible tu m'enchaînes

tu me dévastes tu me fais


je t'attends comme la forêt

inextricable enchevêtrée

tissée de renards et de geais

mais que le matin fait chanter.


Luc Bérimont ("Un feu vivant", Flammarion, 1968)

Noël


Au coeur de la nuit, les fermes sommeillent,

Cadenas tirés sur la fleur du vin,

Mais la fleur du feu y fermente et veille

Comme le soleil au creux des moulins.

Comme le soleil au creux des moulins.


Aux ruisseaux gelés la pierre est à fendre

Par temps de froidure, il n’est plus de fous,

L’heure de minuit, cette heure où l’on chante

Piquera mon coeur bien mieux que le houx.

Piquera mon coeur bien mieux que le houx.


J’avais des amours, des amis sans nombre

Des rires tressés au ciel de l’été,

Lors, me voici seul, tisonnant des ombres

Le charroi d’hiver a tout emporté,

Le charroi d’hiver a tout emporté.


Pourquoi ce Noël, pourquoi ces lumières,

Il n’est rien venu d’autre que les pleurs,

Je ne mordrai plus dans l’orange amère

Et ton souvenir m’arrache le coeur.

Et ton souvenir m’arrache le coeur.


Madame à minuit, croyez-vous qu’on veille?

Madame à minuit, croyez-vous qu’on rit?

Le vent de l’hiver me corne aux oreilles,

Terre de Noël, si blanche et pareille,

Si pauvre, si vieille, et si dure aussi.


Luc Bérimont
(Ce poème, mis en musique par Léo Ferré a aussi été chanté par Marc Ogeret, Jacques Bertin, Catherine Sauvage, Jacques Douai, parfois sous le titre «Madame à minuit»

Aujourd’hui encore, Serge Utge-Royo prête sa voix à ce beau texte

CD »Bertin chante Bérimont, 1991, disques Velen
(réédition du vinyl de 1988)
La musique et l’orchestration sont de Reinhardt Wagner

demain la veille


Les pousses adoptent sous la terre

Un comportement menuisier

Patience et géométrie

Un atelier sans liberté

Polit des linteaux d’étamines

J’apprends à retarder les mots

Par un mimétisme pareil

Une prudence de fraisier

Dans un printemps frileux

Par les tiges souples du feu

Je connais le vent, cru

l’ouest

Je vois par un ramier

J’entends par un renard

Le chat m’ouvre un été

La tulipe un soleil

Par les lettres vertes de l’eau

Et par le corps heureux des pierres

Je connais l’issue et l’entrée :

une population d’oiseaux

une mouche dont je suis l’aile.


Luc Bérimont ("Demain la veille», éditions Saint-Germain-des-Prés, 1977)


Haute plainte en plaine, l'hiver


Je plante un arbre sec dans le ventre du feu

La mèche usée du jour charbonne sous la pluie

Naissent les bruits du soir j'entends rentrer les boeufs

La pendule a moulu des minutes de suie.


Je suis plus près de toi qui brouilles le parcours

Et qui laisses ma voix dériver sur les mares

Je suis plus près de toi que le vent dans les tours

Que le dégoût des jours qui s'attable et me nargue.


Je saurai désormais comment souffrir d'amour

Perdu au bout* des champs, dans les boues de l'automne

Je connaissais la peine à Paris sur* les cours :

C'est bien une douleur pareille, un même tour.


L'hiver est un roi mort, empenné de corbeaux

Il ouvre, il m'attendait, il me rit comme un frère

Les chambres sont pavées d'un damier de vieux os

L'âge que j'ai, ce soir, pèse comme une pierre.


Luc Bérimont (Sur la Terre qui est au ciel, 1947

Ce poème est chanté par Jacques Douai (1965) sous le titre «Je suis plus près de toi», sur une musique de Lise Médini, la deuxième strophe devient le refrain)

la chanson donne à entendre :

* au bord des champs et *dans les cours ...


On en trouve le texte, déformé, édulcoré jusqu'au contre-sens, sur Internet, où le meilleur et le pire se côtoient ... Par exemple, ce poème est titré "Haute plaine en hiver" !
Il y a de quoi porter plainte !

mais lieucommun n'est pas exempt de reproches, signalez-nous les éventuelles erreurs (vérifiez avant à la source fiable, l'édition originale).


titres suggérés pour ces passage du recueil "Un feu vivant", et qu'on présente ici, bien qu'ils participent au chant d'amour général, comme des poèmes indépendants :


Lorsque je n'ai rien à me dire


Lorsque je n'ai rien à me dire

Quand je n'ai plus rien près de moi

Ni arbre, ni raison

Ni machine à écrire  -  et sans idées

De grandes figures sauvages illuminent comme des lys.

Le monde se prend à bouger

un vieux cheval bossu débouche d'une écurie depuis longtemps réduite en cendres

Un chien mort me lèche les mains

Me voici seul dans un pays où tombe une pluie couleur d'huîtres

La mer et l'horizon ondulent leur amour

Je goûte une stupeur d'enfance

Lorsqu'il ne me reste plus rien

Ni même le goût d'en parler
Et que la poésie vit sans moi

-  à ma place.



Mon amour du profond des nuits


Mon amour du des nuits

Du fond de la terre et des arbres

Du fond des vagues, de l'oubli

Mon amour des soifs de l'enfance

Mon amour de désespérance


Je t'attends aux grilles des routes

Aux croisées du vent du sommeil

Je crie ton nom au fond des soutes

Des marécages sans oiseaux

Du fond de ce désert de fonte

Où je pose un à un mes pas


J'attends la source de tes bras

De tes cheveux de ton haleine

Tu es terrible tu m'enchaînes

Tu me dévastes tu me fais


Je t'attends comme la forêt

Inextricable enchevêtrée

Tissée de renards et de geais

Mais que le matin fait chanter.


(...)


Comme des eaux qui se dénouent ...


Comme des eaux qui se dénouent

Sous la neige, parmi les boues

Dans l'éclosion terrible et tendre

D'un bourgeon voulu par le feu

Comme un lac sur des herbes bleues

Comme le flanc frileux des biches

Comme l'envol noir sur les friches

Des oiseaux mouillés du printemps


Mon sang t'environne et t'attend.


Luc Bérimont ("Un feu vivant", Flammarion, 1968)

<< image empruntée au site http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/berimont/berimont.html

On trouvera bien d’autres textes (non repris dans cette page) de Luc Bérimont à l’adresse ci-dessus et sur le site que vous visitez, aux pages du Printemps des Poètes, depuis 2007, en particulier des poèmes accessibles au élèves d’élémentaire et de collège.
Par exemple ici, avec en prime des idées de création poétique <<


Conjugaison de l’oiseau

J’écris (à la pie)
J’écrivais (au geai)
J’écrivis (au courlis)
J’écrirai (au pluvier)
J’écrirais (au roitelet)
Écris ! (au sirli)
Que j’écrive (à la grive)
Que j’écrivisse (à l’ibis)
Écrivant (au bruant)
Écrit (au pipit)

Luc Bérimont ("La poésie comme elle s'écrit" - 
textes réunis par Jacques Charpentreau - Editions Ouvrières 1979)


Conjugaison ludique

Exercice à expérimenter en utilisant les temps et les modes qui correspondent au niveau de la classe. Indicatif et impératif pour l'élémentaire sans doute.
Choisir une action,  la mettre en scène (amusante) dans une phrase simple, composée ou complexe (toujours suivant les compétences), au présent, avant de la décliner à d'autres temps en gardant la structure mais en modifiant certains des éléments qui la composent. Le sujet n'est pas forcément un pronom, ni la première personne du singulier, comme dans le texte de Luc Bérimont (trois des conjugaisons seulement, par nécessité, ne sont pas à la première personne).

Exemple, avec le verbe faire :

Je fais ce qu'il me plaît

Je fis des salsifis confits
Je faisais des salades décomposées
Je ferai des conserves de purée
Que je fasse une tarte à la mélasse
En faisant de la soupe d'éléphant
J'ai fait bouillir le café
Je fais ce qu'il me plaît 


Remarque : les verbes du 3e groupe et les verbes irréguliers sont plus intéressants que ceux du premier groupe, pour la diversité des rimes en terminaisons.

Voir aussi le paragraphe consacré à Alphonse Allais, avec une conjugaison au subjonctif non réglementaire.

 

Le sang des hommes, recueil aux éditions Bruno Doucey, éditeur également du recueil anthologique pour le Printemps des Poètes 2015, qui est paru en février.

Sur le site du Printemps des Poètes 2015
ce petit poème >>
(copie d’écran)

Chanson de l'heureux meunier


Je ne peux plus moudre semaine

J'ai trop de travail au moulin:

Un sang de femme, un blé de reine

Et le bonheur bleu de ses reins.


Je suis le muet des fontaines;

Mon eau roule sur le cresson

De son ventre, et pour la saison

Je ne veux plus d'autre futaine.


Soleil oui, je suis. Et puis pierre.

Au fond, je ne sais point parler

Et son cri me coud à la terre

Que je pleure de retrouver.


Luc Bérimont (Le Grand Viager, éd Debresse, 1954)

Le Vin Mordu


à René Guy Cadou


De bas brouillards tremblaient aux vallées de l'automne

Les chiens jappaient sans fin sur le bord des ruisseaux,

On entendait rouiller leurs abois dans l'écho

A des lieux et des lieux, sur des pays sans borne.


Le vent sentait la pierre rêche et le gibier

Il était dur et vif à nous trancher la gorge.

Nous nous hâtions vers quelque grange, dont le porche

Offrait déjà l'abri à des coqs qui chantaient.


Lorsque, sur le revers d'un coteau, nous trouvâmes

La jaune, apaisante, caresse des raisins:

Bien à l'écart du vent, des grappes plein les mains

Nous bûmes longuement, renversés sur la flamme.


Luc Bérimont (Le Grand Viager, éd Debresse, 1954)

Rémouleur


à Michel Manoll


Septembre avait l’ardeur d’un chien roux dans les vignes
Une flamme tremblait au bord de la maison
Maintenant, c’est le vent qui dévale les combes
Les arbres calcinés qui rongent les gazons.

La pluie pieds nus, la pluie rôdeuse d’avant l’aube
Marche sur les hangars et les troupeaux transis
La fenêtre capture un vol d’oiseaux sauvages
Qui rament des forêts de bronze dans l’air gris.

Il ne restera rien que le pain, que la neige
Que le layon gelé dans le bas du coteau
Le ciel des quatre vents vire comme un manège
Et l’hiver, sur les grès, aiguise ses couteaux.


Luc Bérimont (Sur la Terre qui est au ciel, 1947)

texte mis en musique et chanté par James Ollivier - CD "Luc Bérimont : chanté par Jacques Bertin, Jacques Douai, Monique Morelli, Marc Ogeret, James Ollivier, Marc Robine et Claude Vinci", EPM, 2002)

La servante


Douce - un grignotement de souris ;

Elle est dans ma maison comme une lampe dans l'ortie

Murée.

          Comme l'haleine de la pluie

Quand dorment les étés sur les carpes des douves.


Elle est comme le pain qui ne fait pas de bruit

Parmi le sang des fruits et des bœufs,

quand la nappe

Est souillée d'ossements et de noyaux de fruits.

           -  Elle est le tourbillon du monde qui nourrit

           Et serre la laitue au cœur vert du vertige.


Elle est comme une voix rescapée du ravage

Fleurie pour mon enfance en ruines,

dans mon âge

Elle est la main terrible et qui lave l'été

Sur la face des morts et sur les draps de noces ;

Elle est la molle ardeur qui éclate la cosse

La paille des tonnelles, un ciel à peupliers

Une aurore qui monte à la croupe des blés.


le poème est ici reproduit dans sa ponctuation et son découpage spatial original


Luc Bérimont (Le lait d'Homme, Debresse, les Cahiers de Rochefort, 1952)


Lorsque je n'ai rien à me dire

Quand je n'ai plus rien près de moi

Ni arbre, ni raison

Ni machine à écrire  -  et sans idées

De grandes figures sauvages illuminent comme des lys.

Le monde se prend à bouger

un vieux cheval bossu débouche d'une écurie depuis longtemps réduite en cendres

Un chien mort me lèche les mains

Me voici seul dans un pays où tombe une pluie couleur d'huîtres

La mer et l'horizon ondulent leur amour

Je goûte une stupeur d'enfance

Lorsqu'il ne me reste plus rien

Ni même le goût d'en parler
Et que la poésie vit sans moi

-  à ma place.



Luc Bérimont (passage d'"Un feu vivant", Flammarion, 1968)

voir plus bas d'autres passages de ce recueil

"Écrire pour se voir et non pour se montrer, retrouver son histoire dans le vent, la fumée".

La nuit d’aube


Une rose a percé la pierre de la neige

Une rose a percé la pierre de l’hiver

Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges


Une rose a percé la pierre de la neige.

Une rose a tremblé sur la paille, à l’auberge

L’ange au gantelet noir roule sous les sapins

Une rose a tremblé, plus frileuse qu’un cierge


La neige lacérait le ciel ultramontain.

Édifice du temps un enfant vous renverse

Une rose, une lampe, une larme au matin.


Il suffit d’un baiser qui réchauffe la neige

Et notre rose à nous brûle déjà ta main.


Luc Bérimont (recueil "C'était hier et c'est demain", Seghers - 2004)