Texte

Guillevic, la terre et l’eau

Des textes parmi les plus abordables

Douceur

Je dis : douceur.

Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t'accueillent



Qui te donnent du temps.

Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.

Je dis : douceur,
Pensant aussi
À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
À des cieux, à de l'eau dans les journées d'été,
À des poignées de main.

Je dis : douceur, pensant aux heures d'amitié,
À des moments qui disent
Le temps de la douceur venant pour tout de bon,

Cet air tout neuf,
Qui pour durer s'installera.

Guillevic ("Terre à bonheur" - éditions Seghers, 1952, puis dans la collection Poésie d’abord, 2004)


Lumière

Ce n'est pas vrai que tout amour décline,
Ce n'est pas vrai qu'il nous donne au malheur,
Ce n'est pas vrai qu'il nous mène au regret,
Quand nous voyons à deux la rue vers l'avenir.
Ce n'est pas vrai que tout amour dérive,
Quand les forces qui montent ont besoin de nos forces.
Ce n'est pas vrai que tout amour pourrit,
Quand nous mettons à deux notre force à l'attaque.
Ce n'est pas vrai que tout amour s'effrite,
Quand le plus grand combat va donner la victoire.
Ce n'est pas vrai du tout,
Ce qu'on dit de l'amour,
Quand la même colère a pris les deux qui s'aiment,
Quand ils font de leurs jours avec les jours de tous
Un amour et sa joie.

Guillevic ("Gagner" - Gallimard, 1949)


Coquelicot

Coquelicot,
Quand je pense
Que je te parle
Et que tu l'ignores,
Que j'envie ta fierté,ton assurance,
Ton absence d'hésitation,
Ta certitude d'avoir gagné,
De continuer à rayonner,
J'ai de la peine à sentir
Qu'on ne communique pas
Avec ce que l'on aime,ou admire
Et je me sens seul,
Étranger à moi-même.
Tu ne le sauras pas,
Mais continue
À m'éblouir.

Guillevic ("Quotidiennes" - poèmes novembre 1994 – décembre 1996, Gallimard, 2002)


Imaginons

Le temps que met l’eau à couler de ta main
Le temps que met le coq à crier le soleil
Le temps que l’araignée dévore un peu la mouche
Le temps que la rafale arrache quelques tentes
Le temps de ramener près de moi tes genoux
Le temps pour nos regards de se dire d’amour
Imaginons ce qu’on fera de tout ce temps.

Guillevic (extrait de "Avec" - éditions Gallimard, 1966)


Imagine

Imagine un oiseau,
Merle ou geai ou mésange,

Qui tiendrait dans son bec
Et ce serait pour toi,

Tendrait vers toi
Myrtille ou mûre

Ou quelque chose.

Guillevic (extrait de "Avec" - éditions Gallimard, 1966)


Suppose

Suppose
Que je vienne et te verse
Un peu d’eau dans la main
Et que je te demande
De la laisser couler
Goutte à goutte
Dans ma bouche.
Suppose
Que ce soit le rocher
Qui frappe à notre porte
Et que je te demande
De le laisser entrer
Si c’est pour nous conter
Le temps d’avant le temps.
Suppose
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler
A travers la pénombre.
Suppose
Que s’ouvrent sous nos yeux
Tous les toits de la ville
Et que je te demande
De choisir la maison
Où, le toit refermé,
Tu aimeras la nuit.
Suppose
Que la mer ait envie
De nous voir de plus près
Et que je te demande
D’aller lui répéter
Que nous ne pouvons pas
L’empêcher d’être seule.
Suppose
Que le soleil couchant
S’en aille satisfait
Et que je te demande
D’aller lui réclamer
Ce qu’il doit nous payer
Pour sa journée de gloire.

Guillevic (extrait du poème "Bergeries", dans le recueil "Autres" - 1980)


J'ai vu le menuisier

J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.

J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.

J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.

Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.

Guillevic ("Terre à bonheur" - éditions Seghers, 1952, puis dans la collection Poésie d’abord, 2004)


L'école publique

À Saint-Jean-Brévelay notre école publique
Était petite et très, très pauvre : des carreaux
Manquaient et pour finir c'est qu'il en manquait trop
Pour qu'on mette partout du carton par applique,

Car il faut voir bien clair lorsque le maître explique.
Alors le vent soufflait par tous ces soupiraux
Et nous avons eu froid souvent sous nos sarraus.
Par surcroît le plancher était épisodique,

Et l'on sait qu'avec l'eau du toit la terre fait
Des espèces de lacs boueux d'un bel effet.
Pourtant j'ai bien appris dans cette pauvre école :

Orthographe, calcul, histoire des Français,
Le Quatorze juillet, Valmy, la Carmagnole,
Le progrès, ses reculs, et, toujours, son succès.

Guillevic ("31 sonnets" - Gallimard, 1954) 


Recette

Prenez un toit de vieilles tuiles
un peu avant midi.

Placez tout à côté
un tilleul déjà grand
remué par le vent.

Mettez au-dessus d'eux
un ciel de bleu, lavé
par des nuages blancs.

Laissez-les faire.
Regardez-les.

Guillevic (extrait de "Avec" - éditions Gallimard, 1966)


Monstres

Il y a des monstres qui sont très bons
Qui s'assoient contre vous les yeux clos de tendresse
Et sur votre poignet
Posent leur patte velue*

Un soir
Où tout sera pourpre dans l'univers
Où les roches reprendront leur trajectoire de folles

Ils se réveilleront.

Guillevic ("Terraqué" - Gallimard, 1945) - * texte corrigé, merci de l'avoir signalé


Le vent
(ce passage est extrait d' "Amulettes". Il est repris plus bas avec d'autres passages, trouvés plus tard, et tirés du recueil "Exécutoire".)

Ce n’était pas
Une aile d’oiseau.
C’était une feuille
Qui battait au vent.
Seulement
Il n’y avait pas de vent.

Guillevic ("Exécutoire" - 1947)


Fourmis (titre proposé)

Fourmis, fourmis,
Pas si fourmis que ça,
Ces gens qui vont, se faufilent,
Qui se frôlent, s'entassent.
Ou c'est que les fourmis
Ne sont pas ce qu'on dit.
Car dans les gens d'ici,
Prétendument fourmis
Ça rêve bougrement.

Guillevic ("La ville en poésie" - présenté par Jacques Charpentreau - Gallimard Folio junior 1979)


Un marteau

Fait pour ma main,
Je te tiens bien,
Je me sens fort
De notre force.

Tu dors longtemps,
Tu sais le noir,
Tu as sa force.

Je te touche et te pèse,
Je te balance,
Je te chauffe au creux de ma main.

Je remonte avec toi
Dans le fer et le bois

Tu me ramènes,
Tu veux
T'essayer,
Tu veux frapper.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


Un bahut

Je t'ai ciré,
Je t'ai frotté,

J'ai pris plaisir
À te donner ma peine,

À sentir mon pouvoir
Sur ton gros bois de chêne.

Presque tu ronronnais
Sur ton linge et ton creux.

Je te regarde maintenant,
Je me sens net.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


Quelques courts textes sur le chat, tirés du recueil de Guillevic dédié à "Patoune" : "Mammifères", 1981 (Cahier Arfuyen n°1, illustré d' "empreintes" du peintre turc Dino Abidine).

Le chat (titre proposé)

1.
Le chat ne sait rien
De ce qu'il y a
Dans les dictionnaires.

Sait quelque chose
De ce qui leur manque.

...

2.
Le chat regarde,
Ébloui par son regard.

...

3.

Échappé au naufrage cosmique,
Le chat
Fait sa toilette.

...

4.

Il est comme ça
Parce qu'il est
Un chat
Tout à fait chat.

Guillevic ("Mammifères" - Arfuyen, 1981)


La pomme (titre proposé)

Dans l'arbre privé de fruits et de feuilles
Qui déjà se lasse

Des rameaux jouant pour ne pas trop voir
Le soleil couchant

Une pomme est restée
Au milieu des branches.

Et rouge à crier
Crie au bord du temps.

Guillevic ("Carnac" - éditions Gallimard, 1961)


Le soleil (titre proposé)

Le soleil jamais
Ailleurs qu'en lui-même
Ne verra la nuit

Puisque ce noir qu'il jette
Caille en lumière
Autour de lui.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


Chanson

Pas par le plafond,
Pas par le plancher
Petit enfant sage,
Tu ne partiras.

Pas brisant les murs
Ou les traversant,
Pas par la croisée,
Tu ne partiras.

Par la porte close,
Par la porte ouverte,
Petit enfant sage,
Tu ne partiras.

Ni brûlant le ciel,
Ni tâtant la route,
Ni moquant la lande,
Tu ne partiras.

Ce n'est qu'en passant,
A travers les jours,
C'est à travers toi
Que tu partiras.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


La plaine, les vallons plus loin ...

La plaine, les vallons plus loin,
Les bois, les fleurs des champs,
Les chemins, les villages,
Les blés, les betteraves,
Le chant du merle et du coucou,
L'air chaud, les herbes, les tracteurs,
Les ramiers sur un bois,
Les perdrix, la luzerne,
L'allée des arbres sur la route,
La charrette immobile,
L'horizon, tout cela
Comme au creux de la main.

Guillevic (extrait de "Avec" - éditions Gallimard, 1966)


L'éloge du poète, compris lui-même dans l'éloge des autres :

Le poète (titre proposé, c'est le titre du passage dans le recueil)

Travailleur
Comme eux tous.

Vivant le même temps
De machines, de bruit,
De guerre, de journaux.

Les mêmes problèmes
De nourriture, de logement,
D'impôts.

Citoyen,
Comme eux tous.

Préoccupé,
Comme eux,

Par les problèmes du présent,
Du futur.

Rêvant
De cette société

Où tous
Auront loisir d'écrire.

Guillevic (Le poète, dans "Inclus" - poème n°132, Gallimard, 1973)


Le papillon

Je suis le papillon,
Disait-il,
Ce n’est pas moi la fleur.

Moi, je m’ennuie,
Disait le papillon,
Quand je ne chante pas.

Oui, ma vie sera brève,
Disait le papillon,
Mais quelle vie !

Avec ces couleurs-là,
Disait le papillon,
Ça ne devrait jamais finir.

Guillevic ("Échos disait-il" - illustré par Hélène Vincent - Gallimard Jeunesse/enfance en poésie, 1991)


Arbre l'hiver

L'arbre, ici, maintenant, debout,
Rien que du bois,
Comme un oiseau figé debout
La tête en bas.

L'arbre vécu
Comme du bois
Et comme oiseau
Ne bougeant pas.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


Le glyptodon

Je rencontre un glyptodon
Qui traînait son ventre à terre.
Je lui dis : mais qu’as-tu donc ?
Il répond : le quaternaire.

Oui, vois-tu, je sens qu’il vient,
Que c’est la fin du tertiaire
Et donc aussi notre fin,
C’est dans tous les dictionnaires.

Il n’y aura plus d’égards
Pour nos grandes carapaces,
Puisqu’il y aura les chars :
Ça fait plus mal quand ça passe.

C’est pourquoi je suis atteint.
Savoir la fin de son règne
N’est jamais bon pour le teint,
Qu’on soit dieu ou musaraigne.

Guillevic ("Poèmes en chansons" - publication phonogram Philips Livre-disque 33 tours, 1976 ; texte mis en musique et chanté par Max Rongier)


Choses (titre d'une succession de poèmes dans Terraqué, mais d'autres passages d'autres recueils portent le même titre ! )

C'est vrai
Qu'il y a aussi des étoiles
Et qu'elles sont belles.

Que brûler leur donne
En fruit la lumière.

Et que rien ne dit
Qu'en leurs feux de pierre,
Elles ne sauront rien

De nos mains qui grouillent
De nos mains qui fouillent.

Guillevic ("Terraqué" - Gallimard, 1945)


La forêt (passages)

Je ne suis pas
Une addition d’arbres.

Le chat-huant le sait,
Le répète,

Lui qui est ma voix,
Le meilleur de mes voix.

- - - -

Je suis silence.
Je suis une amphore de silence.

Je suis silence
Qui impose du silence.

- - - -

Je suis comme j’étais
Il y a des millénaires.

...

Guillevic


Ma girafe et moi

Moi, ça m’est bien égal,
Ce qu’ils font.

J’ai un cheval dans ma poche
Et d’ailleurs c’est une girafe.

Alors, quand c’est à moi
Qu’on veut s’en prendre, hop là !

On est loin,
Ma girafe et moi.

Et eux
N’y comprennent rien.

Guillevic ("Autres" - 1980)


Le lièvre

Le lièvre était toujours
A l'orée du bois

La plaine toujours
Disait la rosée.

Le vent découvrait
La frayeur du lièvre.

Le chemin toujours
Allait vers le bois.

C'était toujours l'heure.

Guillevic ("Avec" - éditions Gallimard, 1966)


L'alouette

À quoi je sers
Se chante l'alouette ?

J'ai beau monter,
Grisoller, tourner, descendre
Et remonter et regrisoller,

Alors qui fait mieux ?
Qui ne se plaint pas
De ne rien changer à rien ?

Mais je suis, je suis.
Je fais vibrer avec moi
Ce qui m'entoure.

Guillevic


Il partageait tout (titre proposé)

Il partageait tout
Et avec tous.
Quand il avait une pomme
Il voulait en donner.
Quand il avait un journal,
Il proposait de le répartir.
Quand il faisait beau,
Il distribuait.
Il partageait tout,
Sauf ce qu'il n'aimait pas,
Les billets de banque,
Par exemple.

Guillevic ("Autres" - 1980)


Le chant (passages choisi)

Le chant c'est comme l'eau d'un ruisseau
qui coule sur des galets, 
Vers la source.
C'est la promesse de la source au soleil. 
Tous peuvent avoir accès au chant. 
Certains ne le savent pas. 
Le chant a une manière bien à lui 
d'ouvrir des blessures enchanteresses. 
Ne te fatigue pas à chanter. 
Ou bien le chant te porte en sortant de toi,
ou tu l'attends. 

Eugène Guillevic ("Le Chant", poème 1987-1988 - éditions Gallimard, 1990)


Voici quelques babioles, extraites du recueil Babiolettes. Pour ceux qui trouveraient ce poème d'abord difficile (il l'est), voyez comment on peut l'exploiter  quand même en création poétique dans un CM1-CM2, ici.

Babioles (début)

1
Ce n'est pas que l'horloge
Ait peur qu'on la déloge,

Mais elle veut trotter
Hors de l'éternité

2
Ce n'est pas qu'un potiron
Soit poli comme il est rond,

Mais il ne sait pas lui-même
D'où vient son nom de baptême.

3
Ce n'est pas que le fraisier
Fasse dire qu'il y est,

Mais c'est qu'il montre les fruits
Que lui suggéra la nuit.

4
Ce n'est pas que le torrent
Ait peur de perdre son rang

Mais s'il est impétueux,
Ce n'est pas selon ses voeux.

5
Ce n'est pas que le nuage
Ne rêve pas de l'orage,

Mais il sait que sa violence
Cassera son existence.

6
Ce n'est pas que le temps
Compte à chacun son temps,

Mais c'est qu'il faut du temps
Pour peser tant de temps.

7
Ce n'est pas que le hibou
N'en connaisse pas un bout,

Mais il veut garder pour lui
Tout le restant de la nuit.

8
Ce n'est pas que l'éléphant
Répugne à des jeux d'enfant,

Mais c'est que pour en jouer
L'animal n'est pas doué.

...

Eugène Guillevic ("Babiolettes" - éditions Saint-Germain des Prés, 1980)

 

Ce premier texte difficile, écrit en français par Guillevic, a été traduit en breton par Pierre Jakes Hélias (l'auteur du "Cheval d'orgueil"), ainsi que d'autres textes, pour l'édition du recueil
"Encoches / Askennou". ("encoches" est la traduction en breton de "askennou")

Caillou

Viens encore une fois
Te consacrer caillou

Sur la table dans la lumière
Qui te convient,

Regardons-nous
Comme si c'était
Pour ne jamais finir.

Nous aurons mis dans l'air
De la lenteur qui restera.

Men

Deu aman c'hoaz eur wech
D'en em ouestla da ven

War an daol e-kreiz ar skerijenn
A zo diouzout,

Sellom ouzom
E-giz pa vefe
Da jom heb echui morse.

Lakêt or-bo en êr
Eur horregez hag a bado.

Guillevic ("Encoches / Askennou" 1975 - Les Éditeurs Français Réunis 1993)

Eugène(1) Guillevic (1907-1997) a traversé le XXe siècle et ses courants littéraires de sa poésie rocailleuse et si humaine. Il observe le surréalisme (André Breton, Paul Éluard) sans y appartenir(2).

Proche en 1941, de l'École de Rochefort, créée pendant l'occupation comme une forme de résistance et de liberté contre les normes de la poésie "officielle", avec un groupe d'amis dont le poète René-Guy Cadou, il participe à la presse clandestine de la Résistance aux côtés de Paul Éluard et de Pierre Seghers, et adhère au Parti Communiste.

  1. (1)Guillevic ne voulait pas qu'on mentionne son prénom.
    (
    2) Dans un entretien en 1991, Guillevic déclare : "Je considère peut-être à tort que le surréalisme n’a pas enrichi la langue. Il s’agit d’une langue plate [...] Le poète est forcément un révolté, je ne dis pas révolutionnaire, contre tout pouvoir établi. C’est le contraire d’un conservateur, c’est un novateur qui a pour charge de défendre la langue [...] Ce langage doit mettre en contact, doit être un révélateur, un élément de communication, de communion" ...


Grand Prix de poésie de l'Académie française (1976) et Grand Prix national de poésie (1984), Guillevic se définit lui-même comme un  "poète breton d'expression française" :

"J’ai joué sur la pierre
De mes regards et de mes doigts
Et mêlées à la mer,
S’en allant sur la mer,
Revenant par la mer,
J’ai cru à des réponses de la pierre".

Carnac
(1961)

Il écrit dans son premier recueil de poèmes, Terraqué* (1942) :

" Les mots, les mots
Ne se laissent pas faire
...
Et toute langue
Est étrangère."
("Art poétique", strophe I).


  1. *Terraqué : ce mot , que nous pensions forgé par l'auteur vient de "terre" et "aqua", terraqua : la terre et l'eau. Mais on nous a fait observer (message sur le blog) ceci :

Le mot "terraqué" n'a pas été forgé par Guillevic. Voltaire l'employait déjà : "Si on donne le nom de bonheur à quelques plaisirs répandus dans cette vie, il y a du bonheur en effet; si on ne donne ce nom qu’à un plaisir toujours permanent, ou à une file continue et variée de sensations délicieuses, le bonheur n’est pas fait pour ce globe terraqué : cherchez ailleurs."

http://www.voltaire-integral.com/Html/17/bien_souverain.htm

Des textes parmi les plus abordables :


Un ouvrage pour les enfants

 
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Sommaire des textes

  1. Des textes parmi les plus abordables : Douceur / Lumière / Coquelicot / Imaginons / Imagine /Suppose / J'ai vu le menuisier / L'école publique / Recette / Monstres  / Le vent / Fourmis / Un marteau / Un bahut / Le chat / La pomme  / Le soleil / Chanson / Le poète / Papillon / Arbre l'hiver / Le glyptodon // Choses / La forêt / Ma girafe et moi / Le lièvre / L'alouette / Il partageait tout / Le chant / Babiolettes 

  2. Des textes tirés de "Euclidiennes" : Cylindre / Pyramide / Cône / Point / Triangles : 1. isocèle ; 2. équilatéral ; 3. rectangle / Diagonale / Droite / Carré / Cercle / Angle aigu / Parallèles / Perpendiculaire


  1. Des textes plus difficiles : Caillou (Men) / Inclus / L'arbre / La saison / La vague  / Paroles / L'ennemi / L'arbre (autre texte)   / Rites / Requis   / Élégie / Image  / "Du domaine"- extrait / Art poétique / Habitations  / La plaine, les vallons plus loin  / Iris / Un mur / Rond / Élégie (autre texte) / La terre // L'ennemi (texte augmenté)  / Cerisier / Regarder /Carnac / Amulettes / Victoire du Monde / Ce que tu vois, ce que tu touches / C'est naturel / De l'hiver 

 

Des textes tirés de "Euclidiennes"
(certains abordables en classe, d'autres réservés au collège ou au lycée)

"Euclidiennes"

Un travail pédagogique en Cycle 3 très bien mené sur les «Euclidiennes» de Guillevic, ici :

http://peysseri.perso.neuf.fr/PE2009/GFP02/APPfran22avril2010/DossierCE2_CM1_f.pdf


Cylindre

Si l'on quittait la sphère
Pour s'en aller ailleurs,
C'est à travers toi que l'on passerait.

J'imagine à peu près
Ce que ça pourrait être :

J'ai connu ta longueur
Dans tant de mauvais rêves.

Pyramide

Il me semble que j'imite
Et pourtant je cherche qui.

J'ai vu le sable et le vent
Essayer de faire un corps.

J'ai vu l'eau se soulever
Mais le plan est fait pour elle.

J'ai vu durer les rochers
Plus informes que le ciel.

Moi j'ai la stabilité,
J'ai la force dans ma base,

La patience dans mes faces
Et l'esprit dans mon sommet.

J'ai de coupantes arêtes,
Je suis on ne peut plus nette.

Et puis qui n'imite pas,
Qui n'est pas un peu pareil

A tout cela qu'il n'est pas,
Qui ne lui ressemble pas ?

Nous, figures, nous n'avons
Après tout qu'un vrai mérite,

C'est de simplifier le monde
D'être un rêve qu'il se donne.

Cône

Hésitants que nous sommes
A voir si notre vie

Épouse ou non ta forme
Au long de la durée.

Mais dans quel sens alors ?
Pour toujours s’élargir ?

Pour toujours se fermer ?

Tu nous inquiètes,
Tu es remords.

Point



Je ne suis que le fruit peut-être
De deux lignes qui se rencontrent.

Je n'ai rien.

On dit partir du point,
Y arriver.

Je n'en sais rien.

Mais qui
M'effacera ?

Triangles (numérotation des poèmes proposée)

1. Isocèle                                                                                        

J'ai réussi à mettre                                                                           
Un peu d'ordre en moi-même.

J'ai tendance à me plaire.                                                            

2. Équilatéral

Je suis allé trop loin
Avec mon souci d'ordre,

Rien ne peut plus venir.

3. Rectangle

J'ai fermé l'angle droit
Qui souffrait d'être ouvert
En grand sur l'aventure.

Je suis une demeure
Où rêver est de droit.

Diagonale

Pour aller où je dois aller,
J'ai le droit de priorité,
J'ai le droit de propriété.

Car il faut que deux angles
À travers la surface
Aient communication.

Donc je m'installe et sans égard
Pour des desseins moins nécessaires.

Droite

Au moins pour toi,
Pas de problème.

Tu crois t'engendrer de toi-même
À chaque endroit qui est de toi,

Au risque d'oublier
Que tu as dû passer
Probablement au même endroit.

Ne sachant même pas
Que tu fais deux parties
De ce que tu traverses,

Tu vas sans rien apprendre
Et sans jamais donner.

Carré

Chacun de tes côtés
S'admire dans les autres.

Où va sa préférence ?
Vers celui qui le touche
Ou vers celui d'en face ?

Mais j'oubliais les angles
Où le dehors s'irrite

Au point de t'enlever
Les doutes qui renaissent.

Cercle

Tu es un frère
On peut s'entendre.

Fais-moi pareil,
Enferme-moi.

Réchauffons-nous,
Vivons ensemble
Et méditons.

Angle aigu

A défaut d'être cercle
On pourrait se faire angle,

Et sinon vivre au calme,
Attaquer l'entourage,

Se reposer ensuite
En rêvant de fermer

L'autre côté toujours
Ouvert sur l'étranger.

Parallèles


On va, l’espace est grand,
On se côtoie,
On veut parler.
Mais ce qu’on se raconte
L’autre le sait déjà,
Car depuis l’origine
Effacée, oubliée,
C’est la même aventure.
En rêve on se rencontre,
On s’aime, on se complète.
On ne va plus loin
Que dans l’autre et dans soi.

Perpendiculaire

Facile est de dire
Que je tombe à pic.
Mais c'est aussi sur moi
Que l'autre tombe à pic.

Guillevic ("Euclidiennes"  1967 - Gallimard)

 

Des textes plus difficiles

Inclus (extrait)

En somme,
Avec les mots,
C’est comme avec les herbes,
Les chemins, les maisons, tout cela
Que tu vois dans la plaine
Et que tu voudrais prendre.
Il faut les laisser faire,
Par eux se laisser faire,
Ne pas les bousculer, les contrarier,
Mais les apprivoiser en se faisant
Soi-même apprivoiser.
Les laisser parler, mais,
Sans qu’ils se méfient,
Leur faire dire plus qu’ils ne veulent,
Qu’ils ne savent,
De façon à recueillir le plus possible
De vieille sève en eux,
De ce que l’usage du temps
A glissé en eux du concret.

Guillevic (extrait du recueil "Inclus" - Gallimard, 1973)


L'arbre (titre proposé - Un deuxième passage d'un autre long texte du même recueil est présenté plus bas sous le même titre proposé)

Au-dehors l'arbre est là et c'est bon qu'il soit là,
Signe constant des choses qui plongent dans l'argile.

Il est vert, il est grand, il a des bras puissants.
Ses feuilles comme des mains d'enfant qui dort

S'émeuvent et clignent.

Guillevic (extrait du poème "Ensemble", strophe XIV, dans "Terraqué" - Gallimard, 1945)


La saison

Pommes et poires.
Ne sont plus à l’arbre
Et le froid monte.
Déjà l’oiseau a traversé.

Cela n’empêche.

C’est à coups de ciseaux déjà
Que l’oiseau vole et la bruyère
Cherche remède à trop de poids
Qui peut durer.

Cela n’empêche.

Au triomphe aigu de l’aigu
Dans le sol et sur l’espace,
La fontaine est sans réplique
Et va geler comme un labour.

Cela n’empêche.

Pour la lutte et nos victoires
La saison ouvre à grands pas.

Guillevic ("Gagner" - Éditions Gallimard – 1949)


La vague

Pour se faufiler
Dans l'étroit canal
Qui menait au port avant les bassins,
Elles se pressaient, tes vagues,
Lors de la marée,
Elles se bousculaient.
Elles avaient besoin
Que l'interminable
Soit fini pour elles.

Guillevic ("Carnac" - éditions Gallimard, 1961)


Paroles

Peu de paroles
Car trop de paroles
Bouchent le creux,
Et la résonance : adieu.

Peu de paroles
Pour que chacune ait dans la sphère
Tout un circuit,
Sa résonance.

Guillevic ("Inclus" - Gallimard, 1973)


Ce texte est proposé à nouveau, sans coupures, pour une meilleure cohérence :

L'ennemi (titre proposé, le titre du passage est "Comment")

Il y aura toujours dans l'automne   
Une pomme sur le point de tomber.

Il y aura toujours dans l'hiver 
Une fontaine sur le point de geler.

Que les corbeaux
S'enfuient de peur à notre approche,
C'est leur droit. Nous pouvons aller.

De l'espoir il y en aura
Sur les rameaux.

Et puis nous ne sommes pas malades
De la terre.

L'ennemi, 
Nous le connaissons.

Guillevic ("Gagner" - éditions Gallimard, 1949)


L'arbre (deuxième texte portant le même titre proposé, extrait d'un autre poème du recueil "Terraqué")

L'arbre qui se fait mal
À durer sous l'écorce,

Et davantage encore à vouloir se briser
Parfois, depuis le faîte.

- Pour décider après de tenter d'autres branches
Par où s'éparpiller
Dans des milliers de feuilles.

Guillevic (passage inclus dans la suite de textes "Chanson", du recueil "Terraqué" - Gallimard, 1945)


Rites

              à Colomba                                          

Qu’il fasse clair
Ou qu’il fasse nuit
Sur les prairies,

Un jour il faudra
Prendre avec les mains
De l’eau d’un fossé.

Pour qu’en tombe une goutte
Au hasard du vent,
Sur un mur perdu
Entre bois et prés.

Parce que c’est la pierre,
Parce que c’est l’eau,
Parce que c’est nous.

Guillevic ("Terraqué" - Gallimard, 1945)


Requis

Sur l'arbre, la feuille
Translucide encore
Et déjà
Le vent de la chute.

Tu veux croire
Que cette feuille-là
C'est pour toi
Qu'elle traduit l'humus.

Tout l'inoubliable
Que les jours
Ont consommé
Du lierre au rocher,
Il y en a toujours
Pour te murmurer :
Dis-le moi.

Tu t’es fait des chemins
Là où il ne fallait pas
Laisser de traces.

Que tes yeux
Ne quittent pas
Trop longtemps le sol
Où tu es requis.

Ce qui
En toi se tait
Croit que ton corps
Est sans limites.   

Guillevic ("Requis", poèmes 1977-1982, Gallimard, Paris, 1983)


Élégie

Lorsque nous tremblions
L'un contre l'autre dans le bois
Au bord du ruisseau,

Lorsque nos corps
Devenaient à nous,

Lorsque chacun de nous
S'appartenait dans l'autre
Et qu'ensemble nous avancions,

C'était alors aussi
La teneur du printemps

Qui passait dans nos corps
Et qui se connaissait

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


Image

Sous les herbes,
ça se cajole,
ça s’ébouriffe et se tripote,
ça s’étripe et se désélytre,
ça s’entregrouille et s’entrefouille,
ça s’écrabouille et se barbouille,
ça se chatouille et se dépouille,
ça se mouille et se déverrouille,
ça se dérouille et se farfouille,
ça s’épouille et se tripatouille.
Et du calme le pré
Est la classique image.

Guillevic ("Étier", poèmes 1965-1975 - éditions Gallimard, 1979)


Sans titre  (court passage extrait du recueil référencé)

Il y a bien sûr
Assez à dire

Pour qu'on n'ait pas besoin
De commencer.

Guillevic (dans le recueil "Du domaine", cité par la revue Champ poétique (1982)  : "Choses parlées - entretiens" de Guillevic avec Raymond Jean - aux éditions Champ Vallon)


Art poétique (extrait)
C'est aussi le titre du recueil. Un autre poème s'intitule "Art poétique", dans "Terraqué", (Voir plus haut la première strophe  reproduite en présentation )

Si je fais couler du sable
De ma main gauche à ma paume droite,

C'est bien sûr pour le plaisir
De toucher la pierre devenue poudre,

Mais c'est aussi et davantage
Pour donner du corps au temps,

Pour ainsi sentir le temps
Couler, s'écouler

Et aussi le faire
Revenir en arrière, se renier.

En faisant glisser du sable,
J'écris un poème contre le temps.

Guillevic ("Art Poétique" - poème 1985-1986, Gallimard, 1989)


Habitations

J'ai logé dans le merle.
Je crois savoir comment
Le merle se réveille et comment il veut dire
La lumière, du noir encore, quelques couleurs,
Leurs jeux lourds à travers
Ce rouge qu'il se voit.

J'ai fait leur verticale
Avec les blés.
Avec l'étang j'ai tâtonné
Vers le sommeil toujours tout proche.

J'ai vécu dans la fleur.
J'y ai vu le soleil
Venir s'occuper d'elle
Et l'inciter longtemps
A tenter ses frontières.

J'ai vécu dans des fruits
Qui rêvaient de durer.

J'ai vécu dans des yeux
Qui pensaient à sourire.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


Iris (titre proposé)

Iris,
vous me désespérez,
Mais je vivrai comme vivent les hommes

Qui essaient eux aussi
de fleurir.

Guillevic


Un mur (titre proposé)

Ce n'est pas facile
D'être un mur,
Tout seul
Entre deux propriétés.
De temps en temps,
Le vent, un oiseau.
Le mur ne peut écrire
Qu'au ciel, au tilleul,
Mais il sait, lui,
Qu'il écrit en incluant sa
base.

Guillevic ("Art Poétique" - poème 1985-1986, Gallimard, 1989)


Rond (titre proposé)

Qu’est-ce qu’il y a donc
de plus rond que la pomme ?

- Si lorsque tu dis : rond,
Vraiment c’est rond que tu veux dire,
mais la boule à jouer
Est plus ronde que la pomme ;

mais si, quand tu dis : rond,
C’est plein que tu veux dire,
plein de rondeur
Et rond de plénitude,

Alors il n’y a rien
de plus rond que la pomme.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


Élégie  (un autre texte plus haut porte ce titre)

Je t’ai cherchée

Dans tous les regards

Et dans l’absence des regards,
Dans toutes les robes, dans le vent,

Dans toutes les eux qui se sont gardées,

Dans le frôlement des mains,
Dans les couleurs des couchants,

Dans les mêmes violettes,

Dans les ombres sous les hêtres,
Dans mes moments qui ne servaient à rien,

Dans le temps possédé,

Dans l’horreur d’être là,
Dans l’espoir toujours

Que rien n’est sans toi,
Dans la terre qui monte

Pour le baiser définitif,
Dans un tremblement

Où ce n’est pas vrai que tu n’y es pas.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)


La terre (passages du poème avec un titre proposé)

La terre
est mon bonheur.
...
Je remercie tous ceux à qui je dois de vivre
Et de pouvoir aller dans ce jour prometteur
De jours plus vrais encore, la joie pour tous
Qui recommence à chaque instant,
La fête sur nos jours et sur les nuits des hommes
Avec le bon travail qu'ils font à leur désir,

Avec ce travail-là qui, d'année en année,
Sait encore monter le degré de la fête.

Je remercie tous ceux qui luttent pour le monde
À l'exemple de ceux qui ont aimé le vie
Assez pour nous l'offrir pleine déjà de jours pareils
À celui où j'avance en caressant les buis.

Guillevic ("Terre à bonheur" - éditions Seghers, 1952, puis dans la collection Poésie d’abord, 2004)


Cerisier

Te voici devenu,
Comme ce fut rêvé,

Rien que cette blancheur
Effrayant l'horizon,

Rien que la fiancée
Préparée pour les noces.

Qui te prendra ?
Qui doit venir ?

Guillevic


Regarder

1

Avant de regarder
Par la fenêtre ouverte,

Je ne sais pas
Ce que ce sera.

2

Ce n’est pas
Que ce soit la première fois.

Depuis des années
Je recommence

Au même endroit
Par la même fenêtre.

3

Pourtant je ne sais pas
Ce que mon regard, ce soir,

Va choisir dans cette masse de choses
Qui est là,
Dehors.

Ce qu’il va retenir
Pour son bien-être.

4

Il peut aller loin.

Peu de couleurs.
Peu de courbes.

Beaucoup de lignes.
Des formes,

Accumulées
Par des générations.

5

Je laisse à mon regard
Beaucoup de temps,

Tout le temps qu’il faut.

Je ne le dirige pas.
Pas exprès.

6

J’espère que ce soir
Il va trouver de quoi :

Par exemple
Un toit, du ciel.

Et que je vais pouvoir
Agréer ce qu’il a choisi,

L’accueillir en moi,
Le garder longtemps.

Pour la gloire
De la journée.

Guillevic ("Étier", poèmes 1965-1975 - éditions Gallimard, 1979)


Carnac
(Un autre texte portant le même titre suit celui-ci dans "Terraqué", et "Carnac" est également le titre d'un recueil de Guillevic, cité plus haut)

Quand le géant noir
Qui dort parmi les fossiles du fond des mers
Se lève et regarde,

Les astres au creux du ciel ont froid
Et viennent se chauffer coude à coude.

Les yeux morts de cent mille morts
Tombent dans les rivières
Et flottent.

Guillevic ("Terraqué" - Gallimard, 1945)


Amulettes (passages - une des strophes a déjà été présentée plus haut - La dernière strophe est parfois présentée isolément, comme un court poème pour la classe)

La scie va dans le bois,
Le bois est séparé

Et c'est la scie
Qui a crié.
....

Tous les crustacés
Qui ont tant de noms

Et bien plus encore
De couleurs, de formes,

Ils ne savent pas
Qu'il y a la mer.
....

Voir le dedans des murs
Ne nous est pas donné.

On a beau les casser,
Leur façade est montrée.

Bien sûr que c'est pareil
En nous et dans les murs,

Mais voir
Apaiserait.
....

Ce n’était pas
Une aile d’oiseau.

C’était une feuille
Qui battait au vent.

Seulement
Il n’y avait pas de vent.
....

La vitre vers le froid
Tremblait pour la beauté
Que le givre ferait
Avant l'aurore.
....

Rien ne sert de bouder la lune
Ou de rêver

La tenir contre soi
Pendant les nuits d'été.

Elle est parfaite
Et va.
....

C'était un jour
A la gloire de l'herbe

En ce temps-là
Il y avait vraiment
Des violettes.
....

S'il faut rendre compte
Des beautés du monde,
On n'oubliera pas
Les moulins à vent

Que le vent détraque
Et qui nous oublient

Pour le vent, l'aurore et la liberté.

Guillevic ("Exécutoire" - Gallimard, 1947, qu'on retrouve dans le recueil "Terraqué suivi de Exécutoire" - Poésie/Gallimard, 1968)


Victoire du Monde

Que déjà je me lève en ce matin d’été
Sans regretter longtemps la nuit et le repos.
Que déjà je me lève
Et que j’aie cette envie d’eau froide
Pour ma nuque et pour mon visage.
Que je regarde avec envie
L’abeille en grand travail
Et que je la comprenne.
Que déjà je me lève et voie le buis,
Qui probablement travaille autant que l’abeille.
Et que j’en sois content.
Que je me sois levé au-devant de la lumière
Et que je sache : la journée est à ouvrir.
Déjà, c’est victoire.

Guillevic ("Terre à bonheur" - éditions Seghers, 1952, puis dans la collection Poésie d’abord, 2004)


Un texte "engagé" dans le réel, de Guillevic :

Ce que tu vois, ce que tu touches (titre proposé)

Ce que tu vois, ce que tu touches,
Ce qui t'arrive par l'oreille,
C'est le réel.

Ce que tu ne vois pas, mais que tu sens,
Cette angoisse du merle
Et tant de noces dans l'espace,
Ce que veulent les papillons,
Ce qu'éprouvait le menuisier,
C'est le réel.

Ce que tu ne vois pas et ne sens pas non plus,
Mais qui est confirmé par d'autres, plus savants,
L'infra-rouge, tous ces rayons qui percent l'air,
Les occultes géométries que l'on calcule,
L'univers de l'atome où la force prend forme,
C'est le réel.

Tout ce qui est réel
Mérite d'être vu.
Tout ce qui est réel
Mérite qu'on l'approche.

Tout ce qui est réel
Suit la ligne du beau.

Nous aurons la main
Sur tout le réel.
Nous le tiendrons à notre guise
Un jour qui se profile.

Nous emploierons les choses
En montant avec elles
Leur ligne de beauté.

Nous ferons de la terre
Avec tout ce qu'elle a
Et porte dans l'espace,

Nous ferons de la terre
Et de l'espace aussi
Une corolle immense,

Balbutiant la rosée
Au soleil qui lui vient.

Guillevic ("Terre à bonheur" - éditions Seghers, 1952, puis dans la collection Poésie d’abord, 2004)


C'est naturel

Le feu chauffe. C'est naturel.
La vague revient. C'est naturel.
Le rameau bat. C'est naturel.
Des hommes chantent. C'est naturel.
Ils chantent leur misère. C'est naturel.
Et leur espoir. C'est naturel.
C'est leur misère.
Qui n'est pas naturelle.

Guillevic


De l’hiver (passage)

Il y a toujours
Noël qui arrive,
Il y a toujours dans le plus noir des noirs
de la lumière à supposer,
à voir déjà monter,
même en dehors de soi,
Surtout lorsque la nuit où l’on patauge
est la plus longue.
C’est un tunnel sans voûte
qui débouche
dès maintenant
sur un enfant dans la lumière.

Guillevic ("Étier", poèmes 1965-1975 - éditions Gallimard, 1979)

Guillevic assis à sa table de travail
© photo : Geneviève Hofman

source :
http://archives.centrecharliechaplin.com/_saisons_/_saison_2008_2009/spectacle14-article109.html